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Shugyo

Shugyo
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23 novembre 2010

Lightsaber: escrime 2

Pour rappel de l'épisode précédent, les hypothèses et conclusions suivantes avaient été retenues:
1) Propriétés de l'arme:
- Manche assez long pour une ou deux mains
- Pas de garde protégeant les mains
- Lame sans poids, équilibre au centre de la poignée
- Lame offrant une faible résistance à l'air
- Lame tranchant tout et n'importe quoi sans force. Au contraire, puisque la lame "brûle", plus on coupe vite, moins on risque de couper bien. Cela dit, cela est peut-être plus valable pour le blindage d'un droïde de combat que pour la robe d'un autre jedi/sith.
- Lame à tranchant omnidirectionnel

2) Les styles qui se dégagent de la littérature de l'univers étendu:
Synthèse: Il resterait deux maniements possibles: un léger et rapide à une main, "Makashi" et un autre, un peu plus lourd, à deux mains, tenant du kenjutsu et/ou de l'escrime médiévale à l'épée longue.

3) Constations expérimentales
- l'omnidirectionalité du tranchant, et sa nature (coupe sur brûlure et non sur impact cinétique), annihilent tout principe d'escrime de taille ou presque: il suffit d'avoir les jambes vives, et de rester en équilibre, mais puisqu'on n'a aucune force à infuser dans la lame pour réaliser une coupe, aucune énergie de geste n'est nécessaire. Toute notion de synchronisation pied-hanche-main-lame perd un peu de son sens, tout au plus peut-on les respecter à peu près pour deux raisons: rester en équilibre donc mobile, et donner de la précision à ses frappes. Comme dans toute escrime sérieuse, la cible est l'ensemble du corps, de taille ou d'estoc, et la "touchette", contrairement aux autres armes blanches, tout aussi destructrice que la frappe franche.
- l'équilibre de l'arme (centré au milieu de la poignée) lui donne des propriétés étranges: la lame est extrêmement vive, et réagit à la moindre pensée, à la moindre sollicitation. La non inertie de la lame fait qu'une fois qu'on sait où elle est, et qu'on est concentré, elle peut s'avérer très précise, notamment en matière de frappes arrêtées sur une impulsion des doigts. Par contre, son absence de poids annule le "feeling" de la lame: on ne sent rien, on ne sait où elle est que par extrapolation de la position de la poignée dans les mains. Plus encore qu'un shinai, et à fortiori une vraie lame, il faut une très intense concentration pour être précis avec cette arme. Cela fait honneur à la discipline jedi ! ^^
- l'arme se manie très bien d'une main, mais on a un contrôle bien plus fin avec les deux, vu le centrage très étrange de l'arme. Ce n'est donc pas une histoire de force, mais il semble bien que la prise à deux mains donne les meilleurs résultats.
- l'absence de sens du tranchant, et l'absence de force nécessaire pour couper, rend extraordinairement facile la "touchette valide".
- la lame se déplace à volonté avec une extraordinaire précision (à deux mains), mais en même temps sans aucun feeling ou presque: il est très dur de percevoir ce que l'on fait, tout va très vite.
- la coupe du poignet est tellement simple que ne pas rester pile au centre en garde moyenne de Kendo est du suicide pur et simple. 90% des combat avec les zones de touche sus-décrites finissent en une seconde ou moins sur un frappe du poignet (attaque aux avancées), soit par dessus en attaque, soit par dessous en contre-attaque (peut-être encore plus facile, juste en relevant la pointe d'un coup de poignet gauche sur un pas en avant). Seuls les poignets jouent pour diriger la lame.
=> La garde moyenne du Kendo ne semble pas être une garde très appliquée à l'usage du sabre laser. L'absence de garde, de sens du tranchant, et la rapidité d'action de l'arme rendent l'attaque aux avancées trop facile et trop rapide à atteindre: la double touche est de plus très fréquent.

=> Il serait donc valable d'essayer d'autres gardes, sur d'autres distances, visant à protéger davantage le poignet avant, sans cependant exposer le corps à un coup de pointe facile.
L'arme est tellement vive, et ne pardonne tellement rien, que je pense que les combats seront matière de détection de la bonne distance, de l'opportunité, et de la frappe unique et définitive. (le Graal du Kendo, encore plus marqué que dans le Kendo !)
Dans ce cadre, peut-être qu'une garde haute très offensive façon Jodan ou Hasso, sur un maai plus grand, serait préférable à la garde moyenne Chudan et à son maai plus proche.

Voilà ce que j'ai écrit il y a deux ans maintenant. Deux ans d'escrime médiévale de tradition Lichtenauerienne plus tard, ma vision du combat au sabre laser a bien évolué, même si tout ce qui précède reste valable.
Je m'étais basé sur ce que je connaissais, le Kendo, mais aujourd'hui, je me rend compte de mon erreur. Le Kendo est un art martial moderne de convention, en aucun cas une "véritable" escrime comme le sont le kenjutsu et l'escrime médiévale. Il ne peut servir de base de travail pour aucun style "réaliste", à redécouvrir ou à inventer, mis à part bien sûr ce qui concerne l'universalité du combat: distance, timing, coordination mental-corps-arme. Le Kendo est par contre une excellente discipline pour appréhender ces concepts.

Prendre pour base l'escrime médiévale pour l'adapter aux propriétés du lightsaber est une meilleure base, mais c'est toujours "mauvais". Dans le style que j'étudie, la présence de quillons (garde) est vitale. Cette protection est le bouclier qui manque lorsqu'on manie l'arme à deux mains, et une grande quantité de techniques en font un usage intensif. Les "rotations" de quillons sont la base de l'escrime Lichtenauerienne. Pas de quillons, pas de chocolat ! L'escrime médiévale de tradition Lichtenauerienne, dans le sens "application des pièces des sources" est quasi inappliquable avec une arme démunie de quillons. (Franchement c'était si compliqué que ça de rajouter des quillons à une lame d'énergie, ou même de simples quillons en cortose à la poignée ? ^^)

Cela dit, il reste encore beaucoup de choses sans quillons, et l'approche que nous avons de cette escrime nous permet de voir ce qui marche, et ce qui ne marche pas. Le Kendo est une institution, on apprend LE savoir d'un maître. L'escrime médiévale n'a plus de maître. La démarche est donc de prendre des hypothèses, et de les valider, ou non, par l'expérience, en confrontant les visions d'un maximum de personnes pour trouver ce qui marche, et ce qui ne marche pas. Lorsqu'on étudie une période pour lesquelles existent des sources écrites, on se base dessus. Mais quand on travaille sans sources écrites (ce qui est le cas des escrimes du Haut Moyen-Age) on essaie d'extrapoler en se basant sur les objets utilisés, la connaissance des styles ultérieurs, la connaissance générale du combat avec arme blanche longue. C'est de l'histoire expérimentale appliquée, de l'archéologie du geste.

Cette approche expérimentale permet donc de s'adapter à tout et n'importe quoi. Pourquoi pas à un sabre laser ? Je pourrais finir sur un bûcher si certains de mes collègues historiens savaient ça, mais il n'empêche que la méthode est aussi universelle que valable, alors pourquoi ne pas essayer ?

La présence ou l'absence de quillons ne joue pratiquement aucun rôle dans la partie offensive de cette escrime, sur laquelle je me base, à l'inverse de sa partie défensive/contre-offensive. Ainsi les coups de base plus ou moins diagonaux, venant du haut ou du bas, sont tout à fait valables. La logique de marcher du côté où l'on frappe tient également toujours. Je pense que ceci est universel quelque soit l'arme maniée. Ce que j'appellerais les "contres immédiats" qui sont des coupes décisives brisant les offensives fonctionnent également: un coups travers sur un coup de haut, un coup furieux sur un coup de haut, par exemple, ou même un coup tordu sur les mains, fonctionneront très bien au sabre laser. Ces coups chassent l'attaque de la lame tout en coupant une cible, et mis à part cas limites les quillons ne sont là qu'en assurance supplémentaire. Sans garde, le sabre laser ne pardonne pas l'erreur de jugement sur la distance. Mais bon, après, on est un Jedi ou on ne l'est pas ! ^^

Les ennuis commencent quand on entame le "travail au fer", c'est à dire lorsque les lames se sont liées après deux (contre-)attaques infructueuses, une de chaque côté. La base de l'escrime Lichtenauerienne dans ce cas commun est la rotation, qui consiste à placer sa pointe pour un estoc ou une entaille en empêchant l'adversaire de faire de même, principalement en "capturant" sa pointe dans l'angle formé par le fort de notre lame et le quillon du même côté. L'exercice est périlleux au point d'être impraticable sans garde. Au mieux on y laisse les doigts (et l'arme), au pire on peut y passer tout court: contrairement à une épée, on peut imaginer une coupe "en virgule" au sabre laser, qui n'est pas tenu à un plan ni à une vitesse minimum pour couper (coupe omnidirectionnelle de nature thermique et non cinétique).

Il en va de même pour les mutations (qui sont des rotations), et dans une moindre mesure pour les doublements, qui peuvent passer si la menace de pointe est vraiment éloignée vers le haut (L'adversaire "pare" avec sa lame pratiquement verticale).

Ceci, couplé au fait qu'universellement, en escrime, détacher quand on est menacé, c'est la mort, implique un résultat qui va faire diverger totalement l'escrime au sabre laser de l'escrime à l'épée longue: toute distance rapprochée après engagement est à fuir ! Contrairement à l'épée longue qu'on peut même attraper par la lame si elle ne peut se mouvoir avec suffisamment de vitesse, il suffira à celui qui est attaqué de la sorte de "poser" son sabre sur l'assaillant pour le couper en rondelles. La seule lutte envisageable est celle qui immobilise immédiatement et définitivement le sabre... Ca doit pouvoir se faire, mais bon courage !

Ceci implique autre chose: un combat réaliste au sabre laser ne peut durer. Encore moins qu'avec une arme blanche conventionnelle, c'est dire ! L'absence totale de protection et les propriétés de coupes "magiques" de la lame en font une des armes blanches les plus dangereuses jamais imaginées par l'homme. 90% des assauts devraient se terminer en UN coup. Soit l'attaquant réussit à bien placer son assaut et l'emporte, soit le défenseur place un contre immédiat et l'emporte. Dans les 10% restants, l'attaquant, ou le défenseur, placeront une deuxième attaque qui aboutira sur la conclusion de l'affrontement. Plus encore qu'au katana ou à l'épée longue, attaquer le premier devient encore plus important. De même, attaquer "intelligemment" devient encore bien plus important.

On en arrive à une idée du duel aussi épurée que celui, célèbre, des Sept samurais, où l'un des héros affronte un autre samourai avec un simili shinai (qui n'est qu'un simple morceau de bambou vert). Celui-ci vainc son adversaire, qui proteste, conteste, et le contraint au combat avec son vrai sabre. Les deux hommes s'observent, frappent en même temps, l'un tombe, l'autre pas.

D'une manière générale, il y a deux façons de se retrouver en difficulté: la lame de l'adversaire remonte vers la poignée de notre sabre, ou se dirige vers une partie non couverte et à distance de frappe de notre corps. Il y a donc deux façons de survivre:
1) Esquiver: encore plus important que dans les autres escrimes, mieux vaut ne pas se retrouver sur le chemin du sabre. Vu que de plus celui-ci peut défléchir et blesser sur "touchette", plus on en est loin, mieux c'est.
2) Défendre intelligemment: il faut toujours se défendre intelligemment, quelque soit l'arme, c'est à dire ne pas bloquer de manière statique et stérile une attaque adverse, et ce quelque soit l'arme. C'est encore bien plus vrai au sabre laser, arme de l'extrême sous tout point de vue. Je vois trois manières de défendre intelligemment:
2-a) Esquiver et accompagner l'attaque. Par exemple votre adversaire lance une attaque qui arrive en haut sur votre gauche. Faites un pas de côté sur la droite et abattez la lame de votre sabre par dessus la sienne, et IMMEDIATEMENT après, dans le même geste, attaquez le, soit à l'horizontale depuis sa lame vers les bras, soit en finissant le moulinet vers la tête (c'est une pièce du coup tordu d'ailleurs). Puisqu'on ne peut prendre le risque de voir une attaque interceptée glisser vers le manche, on doit la bloquer à angle droit, mais pour ne pas rendre cette parade bloquante inepte, elle doit être accompagnée:
- d'un mouvement du corps destiné à esquiver
- d'une attaque IMMEDIATE juste après ce geste, si possible dans un seul mouvement fluide.
Ceci est possible, mais c'est la moins bonne solution. Voyons une meilleure approche.
2-b) Plus une approche est bonne, plus elle nécessite de l'anticipation. Sans anticipation, elle devient dangereuse, voire suicidaire. Vous êtes prévenu. Ceci dit, rassurez-vous, si vous respectez les règles fondamentales de l'escrime et êtes versés un minimum dans sa connaissance (en gros vous pigez mon article ^^), que vous êtes déterminés à en finir vite, et suivez ces quelques conseils, vous êtes déjà
à l'abri de 99% des jedis de la lointaine galaxie vus à l'écran, professionnels ou amateurs ! ^^
Ici, on va exploiter une qualité du sabre laser que n'ont pas d'autres armes blanches longues. Son centrage TRES arrière, au milieu de la poignée, en fait une arme qui tourne très vite sur elle même, sans inertie, plus vite qu'aucune épée de métal. S'il est dangereux de faire glisser la lame adverse vers la poignée, il est recommandé qu'elle glisse dans l'autre sens, vers la pointe. Imaginez de nouveau un coup qui arrive en haut à gauche. Interposez simplement votre sabre, vous avez lié les fers, vous êtes tous les deux dans de sales draps. A présent, imaginez que vos mains sont hautes, au niveau de la tête ou au-dessus, et que votre arme regarde le sol, à votre gauche. Lorsque que le coup va la toucher, il va glisser vers le bas. Si votre lame est en bonne position, c'est sans danger, surtout que vous vous décalez à droite en même temps. Vous avez interposé votre arme non pour arrêter l'attaque, mais pour la laisser glisser dessus. Dès que celle-ci est suffisamment bas... votre adversaire vous présente une énorme ouverture en haut à votre droite: faites tourner le sabre de 180° et coupez-le ! Ceci n'est pas beaucoup utilisé à l'épée longue, déjà parce qu'il vaut mieux enfermer la lame ennemie dans les quillons, mais aussi parce que le chemin de la pointe est long, donc l'attaque ne sera pas très rapide. Avec un sabre laser, sans quillons, et avec une lame sans masse qui "mouline" très fort, la donne change, et cette manière de parer en défléchissant devient excellente ! Entraînez-vous à défléchir de cette manière toute attaque, de n'importe quel côté, de haut et de bas. Si vous placez correctement cette technique simple elle vous offrira presque à coup sur la victoire... sauf si votre adversaire vous "grille" et feinte, mais c'est vrai pour toute technique de toute escrime.
2-c) Avec encore plus d'anticipation, c'est à dire en attaquant l'intention, défléchir la lame ennemie devient inutile: vous allez l'attaquer au moment où il se découvre en attaquant, sauf que son attaque sera esquivée, et avec un peu de bol pas la vôtre ! Exemple: on part encore du bon vieux coup arrivant d'en haut à votre gauche. Avec suffisamment d'anticipation, vous pouvez foncer sur la gauche, passer SOUS l'attaque, avec votre sabre en paravent, poignée au dessus de la tête, lame pendant à votre droite. Dès que vous avez passé la distance dangereuse, faites remonter la pointe devant, et coupez au niveau de la poitrine, sous les mains.

Mais que faire si on lie sur une attaque simultanée ? Même si comme je l'ai expliqué ce n'est pas une situation désirable, elle va se produire. L'idée à l'épée longue est de bloquer la lame adverse dans les quillons et se donner un avantage de bras de levier (faible de l'ennemi dans votre fort) pour manoeuvrer en sécurité et estoquer/entailler/entrer en lutte. Ici, sans quillons, c'est impossible. Si vous menacez l'adversaire de la pointe, vous perdez les mains. Contrairement à l'épée longue, vous devez plus ou moins rester fort, c'est à dire ne pas trop menacer, garder de l'angle entre les lames, sous peine de vous en prendre une directement sur les doigts. Attention à ne pas être trop fort et trop perpendiculaire, sinon le doublement reste possible pour votre adversaire, qui glissera sa lame contre la vôtre, tel un serpent, et vous coupera facilement. Attendez un peu de ressentir ce que fait l'autre, mais ne vous bloquez en aucun cas. Une technique qui peut marcher est d'entamer un début de rotation, mais sans aller au bout de la logique. Le but n'est pas d'être agressif mais de tenter votre adversaire. Faites jouer votre lame. Deux cas se présentent:
- Il va se bloquer et/ou s'endormir. Attaquez les mains de manière fulgurante, par dessus ou par dessous, au plus simple, au plus direct.
- Il va criser et détacher pour attaquer. Selon la dangerosité de l'attaque, c'est à dire la distance que va parcourir sa pointe pour vous toucher, attaquez directement comme en 2-c ou appliquez la méthode 2-a.

Et surtout, n'oubliez jamais:
- Ne moulinez pas dans le vide comme un crétin.
- Ne tournez JAMAIS le dos à votre adversaire.
- Ne lui parler pas quand vos lames sont en contact. D'une manière générale, ne parlez pas: quand on tire, on raconte pas sa vie !
- N'armez pas en arrière pour frapper, ça n'est pas une canne, ça n'est pas contondant, ça coupe mieux que tout ce que vous pouvez imaginer !
- Ne restez pas en distance pied poing, vous ne faites pas du "Hong Kong Mac'Kung Fu"...
- Ne détachez pas si votre adversaire est attentif
- Que la Force, mais aussi l'esprit de l'escrime, et votre cerveau, soient, tous, avec vous !

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8 octobre 2010

Partie 08: Mais l'Etat n'est-il pas un concept dépassé ?

A vrai dire, je me rend compte que la portée de mon précédent billet est essentiellement morale. Je pars du concept de l'état nation démocrate, je constate que dans le système actuel il n'est plus que le spectre de ce qu'il était, et je dénonce le phénomène.

Très bien, mais, à un niveau d'abstraction supérieur, est-ce un mal ? Si je sors de ce concept, si j'ose dire "on s'en fout de l'état nation démocrate", je retombe un niveau plus bas dans l'analyse. De moral, puis de légal, je tombe au domaine du possible, de l'impossible, de la science humaine.

Sortons donc du cadre du bien et du mal et passons dans celui, plus fondamental, de l'efficacité, de la froide logique, de la conception la plus brute que nous avons du monde, de ses unités de puissances, de ses échanges.

L'État serait-il, à l'heure de la globalisation économique, à l'heure des flux financiers globaux majoritaires aux flux intra-étatiques, à l'heure où plus de la moitié des mouvements de capitaux dans le monde appartiennent à l'économie souterraine, donc a-légale ou illégale, et donc hors de la Loi des États, l'état est-il encore une réalité "dans le coup" ?

Il faudrait, pour cela, que tous les états soient dans le cas des pays d'Europe, ou de l'occident, c'est à dire dans un mode de fonctionnement où le pouvoir politique ne vient qu'en troisième, après le pouvoir économique, et le pouvoir médiatique.

Il faudrait, dans ce cas, jeter la géopolitique à la poubelle, du moins dans sa forme actuelle, puisque les interactions étudiées sont celles des États, les richesses des États, l'armement des États, la stratégie des États.
On ne dirait plus en Corée, mais chez Daewoo, ou encore on ne parlerait pas des forces armées Indiennes, mais des forces armées de Tata, et on ne parlerait pas de la dette de la France, mais de celle de Total ou de Peugeot.

Force est de constater que tel n'est pas le cas. Les populations appartiennent encore aux États. Les infrastructures, les eaux territoriales, les armées. La Loi est nationale ou internationale, et même si ce sont les lobbyistes qui font les lois internationales, elles sont encore indissolublement liées aux pouvoirs politiques.

L'État est encore l'unité fondamentale de la géopolitique. Les interactions inter-étatiques, les alliances, les guerres, les traités, les instruments de l'Histoire en marche, sont encore liées aux États.

Quand on dit que tous les États occidentaux sont ruinés, embourbés dans d'insondables dettes, quand on place un pays sous la tutelle du FMI, c'est à l'État, et au peuple, qu'on s'adresse, pas aux entités de la force économique, les multi/trans/méta-nationales qui font et défont leurs richesses.

En Chine, où le pouvoir politique n'est ni faible ni démocratique, on dit aux chinois: "Enrichissez-vous, travaillez dur, faites des affaires... mais pas de politique!" En Russie, l'influence politique du régime de Vladimir Poutine et de son successeur a été capitale pour amorcer un progressif redressement du pays à partir des cendres de l'URSS.

Que déduire de ces constats ? Que là où il y a de la force, là où il y a de la volonté politique, là où personne ne s'est encore perdu dans une chimère ultra-libérale, virtuelle, gazéifiée, qui n'a de construit que le nom, l'ETAT est encore la première puissance, contrôlant à la fois l'économie et les médias. On ne met pas la charrue avant les bœufs.

On pourrait rétorquer à cela que ce sont des pays moins développés que l'Europe et les USA, et qu'il est donc normal qu'ils aient encore un fonctionnement quelque peu "archaïque".

Vision typiquement occidentale, héritée du sentiment de supériorité colonial du XIXe siècle. C'est une constante de l'occident de penser que le reste du monde est inculte, imbécile, arriéré. Avec la globalisation, notre pouvoir économique a cru pouvoir faire de la Chine une usine d'un milliard d'esclaves à la botte des brevets occidentaux, du cadavre de l'URSS une réserve de matières premières, tout comme le Moyen Orient, et de l'Inde une pépinière d'informaticiens compétents et sous payés. N'as-t'on rien retenu de la décolonisation ? Qu'est-ce qui intéresse aujourd'hui ces pays qui vont dominer le XXIe siècle ? Le transfert de technologie. Dans n'importe quel gros contrat technologique (usines, matériel militaire, etc.) ce qui décide les signatures des contrats, outre le prix, et le lobbying des états, c'est la quantité et la qualité de transfert technologique. Est-ce que la situation va durer éternellement ?
Je ne le crois pas. Rien ne prédestine un chinois ou un indien à avoir moins d'idées novatrices qu'un européen, un russe ou un américain. Et ne me jouez pas le couplet de la "civilisation chinoise tournée vers le passé" ou encore de "la civilisation indienne torpillée d'immobilisme par son système de castes".
Ces relents nauséabonds dixneuvièmistes sont juste bons à rassurer nos populations vieillissantes qui n'ont pas évoluées depuis ce qu'on leur racontait quand ils étaient petits sur le grand train des seigneurs blancs à Saïgon, et à faire rire dans les satires telles que les films de Jean Dujardin-OSS 117...
Ces pays rattrapent leur retard technologique en achetant des "cours" à des pays qui, eux, ont un savoir encore en avance, mais de gros trous dans leurs caisses. C'est un marché, un deal, pas une constante "raciale" qui va durer pour l'éternité. Lorsque ces pays auront comblé leur retard, auront-ils encore besoin de ces coûteuses perfusions technologiques, auront-ils besoin de "notre" tutelle ? Ils seront riches, ils auront encore des états volontaires, ils produiront ce dont ils ont besoin et vendront ce qu'ils ont en trop. Avec une population d'un milliard de personnes, dont le niveau de formation s'élève à la vitesse de leur croissance économique, ils auront même statistiquement plus de chances de faire venir au monde des génies qui pourront rafler des Prix Nobels!
Attention, je ne crie pas "Au voleur!" ou "Salauds!" à ces pays. Je serais tenté de leur dire "Bien joué, j'aurais fait de même à votre place!"
Mais nous autres européens, avec notre population vieillissante, notre déficit démographique, notre dette insondable, nos jeunes qui n'ont pu travailler à "pisser du brevet" inemployés, nos capacités de production de biens et services externalisées, que feront nous ? Non pas nous, au sens "nos entreprises méta-nationales dont les dirigeants ont encore quelque part dans un coin poussiéreux une carte d'identité française ou britannique" (J'imagine que les orchestrateurs du naufrage de notre civilisation, à qui je nie toute qualité sauf celle de l'extrême intelligence, doivent avoir un "plan B" prêt à se déclencher lorsque l'Europe disparaîtra, telle une Atlantide politico-économique).
Mais nous, peuples d'Europe, que deviendrons-nous ?

Mais trêve de pessimisme et de catastrophisme. Nous avons mis les doigts dans l'engrenage, et même les mains, les pieds, la tête, etc. Est on perdu ?
Oui, si l'on continue à croire que le "concept d'État est périmé", et que le pouvoir politique n'a plus d'influence sur la marche du monde.
Oui, si l'on fait confiance à l'Union Européenne pour régler le problème.
Oui, si du sang neuf n'est pas rapidement apporté à la classe politique qui gouverne (ou est dans l'opposition) actuellement.
Que faire alors ?
Je vous réponds par l'absurde. Voici ce qu'il ne faut surtout pas faire sous forme de comptine rigolote (qui n'est pas de moi et dont j'ignore l'auteur):

« Il était une fois quatre individus qu'on appelait
Tout le monde - Quelqu'un - Chacun - et Personne..
Il y avait un important travail à faire,
Et on a demandé à Tout le monde de le faire.
Tout le monde était persuadé que Quelqu'un le ferait.
Chacun pouvait l'avoir fait, mais en réalité Personne ne le fit.
Quelqu'un se fâcha car c'était le travail de Tout le monde !
Tout le monde pensa que Chacun pouvait le faire
Et Personne ne doutait que Quelqu'un le ferait
En fin de compte, Tout le monde fit des reproches à Chacun
Parce que Personne n'avait fait ce que Quelqu'un aurait pu faire. »

MORALITÉ   

Sans vouloir le reprocher à Tout le monde,
Il serait bon que Chacun
Fasse ce qu'il doit sans nourrir l'espoir
Que Quelqu'un le fera à sa place
Car l'expérience montre que
Là où on attend Quelqu'un,
Généralement on ne trouve Personne !

Voilà où conduit la dissolution des identités, des rôles et des responsabilités dans une société gazéifiée. L'État gouverne, dirige, décide. Ceci n'est pas une chimère ou un passéisme démodé. Tant que ceci ne sera pas, tout ce qu'on peut écrire sur les moyens de réussir à répondre aux défis du XXIe siècle, pour la France, pour l'Europe, est vain, et la perte de ce continent et des ses peuples assurée.

8 octobre 2010

Partie 07: Pourquoi un état fort est nécessaire, où la trahison européenne

Qu'est-ce qu'un état ? A quoi ça sert ?

Voilà une question fondamentale à laquelle il est de plus en plus difficile de répondre dans un monde de plus en plus confus, où tout le monde et son chien ignore les bases du système, par inculture, par désintérêt, ou justement par intérêt personnel.

Un état gère et administre un territoire, et une population. Un état démocratiquement élu base son administration sur l'assentiment du peuple. Si le peuple a un vrai désir de vivre ensemble et de la même manière, on l'appelle nation. L'État-nation n'est ni une ringardise surannée, ni une version light d'un état fasciste et nationaliste, c'est la BASE de la construction du système dans lequel on vit, c'est le produit des Lumières.
L'idée est simple et naturelle, je serais même tenté de dire "tribale": on se regroupe par affinité, on a un ferme sentiment d'appartenance à un groupe, et puisqu'il faut que ce corps ait un esprit pour l'animer, on vote pour élire un chef, et un état-major. Ce chef et ses subalternes reçoivent la tâche, le DEVOIR, de diriger le groupe au mieux de ses intérêts, pour clarifier, au mieux des intérêts du groupe.
Ceci est, décrit de manière extrêmement rudimentaire, le fonctionnement de base d'un état nation démocratique. C'est ce qu'a été la France, c'est ce qu'elle devrait rester.

Un état gère le territoire et le peuple dans de multiples domaines, mais il en est certains qu'on qualifie de "principaux", qui sont les fonctions régaliennes de l'état, au nombre de quatre:
- Assurer, par la diplomatie et la force militaire, la sécurité du peuple et de ses intérêts contre ses ennemis de l'extérieur.
- Assurer la sécurité intérieure et le maintien de l'ordre public, avec, notamment, des forces de police luttant contre les ennemis intérieurs.
- Définir le droit et rendre la justice.
- Définir la souveraineté économique et financière en émettant de la monnaie, notamment par le biais d'une banque centrale.

Voilà à quoi sert un état. En France, de tradition, et pour une raison de cohésion sociale évidente, on ajoute une autre fonction capitale: assurer l'éducation des jeunes.

Cinq piliers, donc: l'éducation, le droit, la défense, la police, la souveraineté économique.

Voici ce qui devrait, par le biais de la démocratie, être dans les mains, indirectement, du peuple, qui vote pour l'état.

Revenons à notre discussion du précédent billet. Dans le triumvirat du pouvoir actuel, pour résumer, on trouve, par ordre d'importance et de puissance assumée:
1) Le pouvoir économique
2) Le pouvoir médiatique
3) Le pouvoir politique

Simple constatation: le seul pouvoir sur lequel l'ensemble de la population a un semblant de contrôle est le dernier, le moins important. En effet, le peuple, que je sache, n'élit pas les conseils d'administration ni les comités d'actionnaires des entreprises, ne choisit pas ses animateurs, producteurs, ni ses patrons de grandes chaînes de télévision.

Deuxième constatation: vous vous rappelez ce que je vous disais sur l'enveloppement stratégique du pouvoir économique sur celui des états par le biais de la globalisation économique ? Je vais vous en montrer un exemple qui en symbolise la puissance: l'Europe.

Avant de vous en parler, je vais quand même vous donner mon opinion, puisque ça va vous démanger si je laisse la question en suspens.
Je suis foncièrement, viscéralement, génétiquement, pro-européen. J'ai dans mes veines du sang français, allemand, polonais, espagnol, italien, et hollandais. Et j'en oublie d'autres, ou ignore peut-être.
Je suis un enfant de l'Europe. Mon fils ajoute à tout cela du sang britannique, il l'est encore plus que moi.
L'Europe a toujours existé: de l'empire de Charlemagne, en guerres internes, en accords monarchiques, de mariages en familles dirigeant plusieurs de ses pays. Les liens qui nous unissent les uns aux autres ne sont pas tous des liens de cordialité, mais il sont des liens d'histoire commune. Bien sur les pays et les peuples sont différents les uns des autres. Mais un parisien et un marseillais n'ont-ils pas aussi différences et des différents ?
L'Europe est une famille, une fratrie, et comme toutes les familles, elle ne compte plus les embrouilles et les disputes, ainsi que les réconciliations. Mais les peuples de l'Europe sont un tout historique et culturel.
Je suis également pro-européen pour une raison toute bête d'efficacité. A l'heure actuelle, sur l'échiquier mondial, chaque pays d'Europe est juste trop petit pour lutter contre les poids lourds qui seront sur le devant de la scène géostratégique du XXIe siècle: la Chine, l'Inde, la Russie, et les Etats-Unis. Non seulement nous pouvons vivre ensemble, mais nous le devons. Nous resterons différents, allemands, britanniques, français, italiens, espagnols, polonais, c'est une certaine entrave à l'homogénéisation mais c'est aussi une richesse. Nos cultures et notre histoire sont bien trop riches pour se mêler en une seule. Tout le monde n'a pas la chance de n'avoir que 500 ans d'histoire...
Mais l'Union Européenne, à l'heure actuelle, est tout sauf l'Europe. Elle est un chancre qui ronge la notion même d'Europe, une trahison de la puissance actuelle, un cadavre zombifié d'une Europe assassinée, sacrifiée aux intérêts du pouvoir dominant, le pouvoir économique. La seule Europe qui aurait pu être, et qui doit être, est celle qui passe par les peuples d'Europe: une Europe de la politique, une Europe qui est UN Etat, et non l'instrument qu'elle est aujourd'hui: une arme au poing du pouvoir économique pour détruire le peu de forces politiques qu'il reste aux nations européennes.
L'Europe, en effet, dans sa dynamique actuelle, est non pas une force politique unificatrice, mais une machine à diluer la souveraineté.
Sur les cinq piliers de l'Etat à la française, qui est responsable de leur gestion ?
1) L'éducation: pour l'instant encore la France, mais l'Europe y prend ses aises.
2) Le droit: l'Europe édicte des lois qui doivent être respectées par les pays membres, et ne se prive pas de juger les lois propres à chaque pays.
3) La défense: où est passé l'armée européenne ? Ou est passé la volonté presque fondatrice de l'Europe, qui est de n'avoir qu'une armée, déjà pour pacifier la région, et pour mettre ses forces de défense en commun face à de multiples menaces éventuelles de l'extérieur? La défense européenne est le symbole de la maladie de l'Europe: pas de décision ferme et centrale, européenne, d'imposer sa vue stratégique (laquelle, déjà?) à ses membres, fiascos industriels en chaîne dus à l'individualisme forcené et l'étroitesse de vue des États membres (et la France est elle aussi lourdement responsable !) Individualisme qui va jusqu'à préférer du matériel de guerre non européen pour certaines armées d'Europe, sous prétexte uniquement économique. Tout matériel stratégique, et le matériel de guerre en fait partie, doit être produit localement, pour garder ses compétences, ses emplois, et surtout ne pas avoir de fil à la patte avec d'autres tierces puissances, même et surtout si elles sont alliées. Il est pour moi totalement impardonnable que le Royaume-Uni, la Belgique, la Pologne, et d'autres encore, aient choisi d'acheter américain plutôt qu'européen.
4) La police: je n'y connais pas grand chose, mais de surface, je pense que c'est peut-être un domaine où l'Europe est bénéfique, et ou chacun augmente ses possibilités de traque de criminels en coopérant, mais ou chacun garde sa souveraineté.
5) La souveraineté économique: tiens, comme par hasard, celle-ci est uniquement européenne: banque centrale européenne, euro, et... règlement économique interne écrit dans une constitution, du jamais vu !

L'Europe n'a pas l'organe décisionnel qui devrait être le sien afin de gérer la cybernétique européenne, le commandement européen, la mission principale de la politique. Par contre, l'Europe contrôle grosso modo la moitié des fonctions régaliennes des états membres, ou plutôt, reformulé correctement, prive les états membres de la moitié de leur outil politique.
Chacun est mal à l'aise, et ça se voit: le Royaume-Uni pratique agressivement une politique de "rendez-moi ce que je vous donne" vis à vis de l'Europe: elle ne s'investit pas, et reste finalement aussi liée aux États-Unis qu'à l'Europe. La France essaye, mais finalement non, mais finalement oui, et d'atermoiement en atermoiement fait ce que la politique française fait depuis la mort de de Gaulle: un pas en avant, un pas en arrière, du vent, du rien. La France est le pays qui a le plus perdu en se mettant à l'Europe, parce que quand on essaye sans essayer, on se plante ! Et L'Allemagne, ce pays qui mieux que les autres connaît les travers du fédéralisme et de la balkanisation historique de son Saint Empire, lassée des trahisons anglaises et des atermoiements français, l'Allemagne construit petit à petit un Europe dans l'Europe, en partenariat avec les nouveaux arrivants de l'Est. Quant à des derniers, qui ont tant besoin de développement après un demi-siècle de communisme, acceptent les subsides de l'Europe, mais aussi les coups de mains étasuniens, et, pourquoi pas, également russes. Il ne sont pas européens, ils sont à vendre.
L'Union Européenne est le symbole fait mécanique politique de la volonté du pouvoir économique de détruire la volonté de la sphère politique, seule soumise à la démocratie, sur l'échiquier du pouvoir actuel. L'UE, ridicule avorton né des amours contre nature des espoirs de trois cent millions de personnes, et de la puissance économique de quelques uns, est la fille indigne, incestueuse, de mères déjà vaincues et humiliées.
Face à cela, que faire ?
L'Europe, réalité historique, nécessité du futur, ne doit pas, ne doit jamais, être abandonnée. Mais l'Union Européenne, pervertie, ratée, est un faux départ. Continuer à s'engluer dans cette impasse est plus qu'inutile, c'est contre productif. Même son premier avatar, la communauté économique du charbon et de l'acier, la plus saine des formules, était déjà dans l'erreur: communauté économique, voilà l'erreur fondamentale ! Non pas qu'il ne faille pas de communauté au niveau économique, comme il en faudrait aussi au niveau de la défense, mais ça n'est pas l'essentiel. Quelle est la mission de la politique ? L'art de mener UN GROUPE vers un objectif défini dans un contexte donné. Sans groupe uni, pas de politique possible. La première notion de politique démocratique est la notion de peuple, de personnes. Avant de fonder une économie commune, une armée commune, il faut avoir un peuple commun. L'Europe aurait du être un pays, avant d'être quoi que ce soit d'autre. Une nation, un état, une armée.
Et si nous sommes trop stupides, trop cupides, trop individualistes, pour cette Europe là ? Mieux vaut encore, dans ce cas, rester Britanniques, Français, Allemands, Polonais. Au moins, les fonctions régaliennes appartiendront toutes à l'Etat, et non à un conglomérat blobesque qui n'est ni un gouvernement, ni un état, juste une assemblée de vautours égoïstes se disputant un budget qui ne leur revient même pas de droit, incapable qu'ils sont d'imposer une quelconque souveraineté.

Un État démocratique fort, un état pleinement souverain, qu'il soit l'Europe, la vraie, ou la France, est la seule garantie que son peuple peut avoir, lui assurant que sa voix sera entendue, que la démocratie existe encore, et n'est pas une chimère brandie par des incapables pour faire croire qu'ils ont encore une quelconque importance, face à une masse d'esclaves évincés de la logique du pouvoir par une manipulation faite à leur insu dans des sphères où leur voix n'a jamais été entendue.

7 octobre 2010

Partie 06: The french « Ménage à trois », où la vraie nature de la Force

Contrairement à ce que le titre peut vous inspirer, je ne vais pas vous parler d’inflation, mais bien de politique dans son sens le plus large.

Je fais ici allusion à l’habitude française et européenne de faire de la numérologie sur le chiffre trois dès qu’on se met à parler politique.

Trois est un nombre fondateur du pouvoir et de la politique dans notre civilisation.

Il y a le trois du Père, du Fils et du Saint Esprit.

Il y a le trois du Triumvirat romain.

Trois, c’est le plus petit nombre de personnes duquel se dégage une majorité significative : seul, on est forcément majoritaire, à deux, à moins d’avoir une scission avec soi-même c’est un peu délicat (et source de très nombreux problèmes de couple), à trois, on obtient très vite deux et un, donc une majorité.

Trois, c’est aussi le nombre de castes de notre Ancien Régime : la Noblesse, le Clergé, le Tiers Etat, censés représenter le pouvoir terrestre, le pouvoir céleste, et … l’objet du pouvoir.

Les Nobles, possédant la terre et les armes, dirigeaient ce monde, le Clergé, acheté par ces nobles, et nobles eux-mêmes dès le rang d’évêques, produisait une idéologie apte à conserver le peuple dans sa soumission servile, et le Tiers-état, lui, trimait pour ce beau monde.

Ce bien beau modèle a été justifié pendant un temps, et l’époque féodale est loin d’être le pire régime politique que notre monde ait connu. Les nobles guerroyaient, le clergé représentait le savoir, la fonction culturelle, et l’espoir de ce monde sans concession, et le « tiers état » s’occupait de l’économie et de la production. Les nobles ne travaillaient pas à produire (du moins pas de manière continue) parce qu’être guerrier professionnel à ce temps là demandait un entraînement quotidien depuis le plus jeune âge, et que s’acquitter de la gestion administrative, bien moins primitive que l’on pourrait l’imaginer, des terres et royaumes possédés, occupait déjà un bon temps plein.

Puis vint l’absolutisme et le besoin pour le Roi de France de dominer ses nobles, tout en étant au départ le pauvre possesseur de terres ridicules et de richesses navrantes à côté de ducs d’Aquitaine, de Comtes de Toulouse et autres barons régnant sur de richissimes provinces. François Ier et ses successeurs créèrent donc progressivement l’absolutisme en affaiblissant les nobles en les sortant de leur utilité première, gérer et défendre leur terres, dans un système qui allait devenir à son point culminant la cour de Versailles : des nobles inutiles affairés à d’inutiles tâches, afin que le roi soit seul maître de son royaume. Seulement voilà, les nobles devenus inutiles, ne se justifiaient plus, et dès lors qu’un roi s’avéra plus faibles que les autres, la société, tendant toujours à s’équilibrer, décida que ce véritable cancer qu’était devenu la noblesse de ces temps là avait vécu, et qu’il était temps d’amputer la partie malade. Puisque les nobles étaient devenu une « élite » inutile, incapable, dévorant les richesses du royaume dans une débauche d’inutilités n’existant que pour leur jouissance (toute comparaison avec une autre époque serait purement fortuite, l’histoire ne cessant de se répéter), l’on décida de s’en débarrasser. Qui était ce « on » ? L’élite montante du Tiers État, la bourgeoisie, riche elle-même, instruite, industrieuse, qui, récupérant et amplifiant les sentiments négatifs du Tchandala à son profit, eut tôt fait de se débarrasser de la vieille et vile noblesse pour s’installer dans ses chaussons.

En ces temps là, le pouvoir absolu réuni dans les mains d’un seul homme devint non seulement intolérable mais aussi révéla ses failles : il suffit d’un incapable pour entraîner le pays tout entier dans la débâcle. Les grands philosophes des Lumières inventèrent donc un concept démocratique fondamental : la séparation des pouvoirs. Afin que personne ne puisse être juge et partie, ni n’applique des lois édictées par lui, on sépara l’exercice du pouvoir (l’exécutif) de la définition du cadre du pouvoir (le législatif) du jugement de ceux qui passent outre les limites de ce pouvoir (le judiciaire). On touchait là du doigt un grand concept, séparer les pouvoirs entre plusieurs mains. Ce qui évitait la catastrophe quand l’exercice du pouvoir revenait à un fou ou à un imbécile. On coupait encore en trois ce pouvoir qui n’en finit plus de devoir être divisé. Le grand écueil de ce concept, on le vit aujourd’hui : séparer le pouvoir politique en trois, c’est bien : excellent, même. Mais as-t-on séparé en trois LE pouvoir ? Assurément, pour une personne. Mais pour un groupe ? Si la séparation des pouvoirs politiques nous a débarrassé de l’absolutisme, elle ne nous protège en rien de deux autres grands maux :

- la fusion des pouvoirs politiques et non politiques

- l’oligarchie d’une même communauté d’intérêt et d’idées contrôlant tout à la fois ces trois pouvoirs politiques, ainsi que d’autres non politiques.

Dans le féodalisme, l’élite est divisée : l’élite incompétente fait péricliter ses terres, et se fait envahir à la première occasion par une autre, qui est au moins plus forte. Ainsi, le pouvoir est partagé entre de nombreuses mains et une certaine forme de sélection naturelle s’opère afin qu’au moins les plus forts soient ceux qui dirigent le plus de terres le plus longtemps. Avec un système centralisé, la paix relative engendrée permet l’encroûtement progressif du système, absolutiste ou oligarchique. (Voir mon billet sur la stratification et la sédimentation d’une civilisation avec le temps). Malgré ses immenses défauts, le féodalisme sauvage évite à l’élite au pouvoir de vieillir, de se scléroser. Étant donné la primitivité du système, il n’y a pas non plus de distinction entre pouvoir politique et pouvoir réel.

 

Qu’est-ce que le pouvoir réel ? De l’Antiquité à nos jours, il n’a pas changé. Le Pouvoir, c’est la Richesse. L’argent aujourd’hui, les terres hier. Etre puissant c’est posséder le carburant de l’économie de la civilisation dans laquelle on vit. Auparavant, c’était les terres, qui nourrissent les travailleurs, l’armée, et dont les surplus de production se transforment en d’autres biens. Les seigneurs du Japon féodal mesuraient leur richesse à la production annuelle de riz de leurs terres. Aujourd’hui, c’est la richesse d’argent et de moyens de production d’argent qui est le vrai pouvoir, selon le simple principe que tout s’achète et tout se vend, quoi qu’on veuille bien en dire. A ce sujet je vous conseille de lire l’excellent « 99 francs » de Frédéric Beigbeder. Les attributs du pouvoir, les armes, les hommes politiques, les réseaux d’influence, tout se monnaye. L’argent est un Moyen universel et posséder ses moyens de production (entreprises, banques, bourses) est l’exercice du pouvoir. Celui qui contrôle l’économie contrôle le monde, c’est le vrai Noble d’aujourd’hui. Le pouvoir politique lui est inféodé, ne serait-ce que parce que pour maximiser son score de séduction, un homme politique moderne, non pas un expert ès cybernétique mais un véritable Hitch pour le peuple, a besoin, comme tout séducteur, de beaucoup d’argent pour ses moyens de séduction, campagne électorale en tête, réseaux d’influence, etc. Il est impossible de devenir président des États-Unis ou de France sans être « ami » avec de richissimes et influentes personnalités. Il s’ensuit qu’aucun homme politique ne peut aller à l’encontre du pouvoir de l’argent dans son véritable agenda s’il veut l’ombre d’une chance de gagner, et s’il inclut une tendance forte à aller à l’encontre de ce pouvoir dans son discours, c’est qu’il ment, purement et simplement : toute l’origine des fameuses promesses électorales. Nous avons donc un pouvoir dual comme durant les Empires et la Restauration : le vrai pouvoir économique, semblable aux riches bourgeois en tête de la révolution industrielle d’alors, et le pouvoir politique, semblable à ces nobles que les premiers épousaient pour « s’acheter un titre », ces mêmes nobles trop contents de « redorer leur blason ».

Nous le savons, tous, et nous, qui ne sommes pas de ces mondes, nous ne faisons rien. Pourquoi ? Parce que ce régime est le plus brillant, le plus intelligent, les plus fin qui aie jamais existé. Il n’impose rien par la force, il endort, il distrait, il achète. La où une dictature punit, enferme, torture, se salit les mains, ce nouveau système, subtil, donne à chacun « la juste suffisance de la solvabilité » et le gangrène ainsi par ce qui immobilise quiconque : la peur de perdre ce qu’on a, ses « acquis », son revenu, ses avantages sociaux, sa tranquillité, son confort. Infecté de faiblesse, le Tchandala râle, mais subit, parce que, comme tout le reste, il a été acheté.

Ce diptyque de pouvoir politico-économique, qui a régné sur le XXe siècle, ne tiendrait pas, pourtant, seul. Il lui faut un troisième larron, en étroite collaboration avec les deux premiers, issu du même milieu, pour que chacun se plaise à sa place. Puisque Dieu est mort et que ses comparses ont quitté le monde du pouvoir, en attendant la mort lente de leur instrument de pouvoir sans objet, suivie de la leur, il faut réinventer le clergé, la religion, l’opium du peuple. Il faut un organisme à cette mécanique de pouvoir qui maintienne le Tchandala dans son état pathétique de mécontentement passif, qui lui vende un espoir stérile à ajouter à sa juste suffisance, auquel se raccrocher comme leurs aïeux s’accrochaient au Paradis promis aux pauvres refusant la puissance. Voici enfin le nouveau triumvirat du Pouvoir :

                      POUVOIR ÉCONOMIQUE POUVOIR POLITIQUE POUVOIR MÉDIATIQUE

Les médias sont le nouveau clergé, les animateurs et autres producteur de presse people/de genre les nouveaux prêtres. Nietzsche disait des prêtres qu’ils commettaient le double méfait de vendre à leurs ouailles une idéologie contre nature les rendant décadents (c'est-à-dire privés de leur élan vital, de leur volonté de puissance), et de leur laisser l’espoir les empêchant de toucher le fond et de se remettre en question ou de disparaître. J’ajouterais qu’en organisant une divine comédie promettant que les derniers seraient les premiers, ils laissaient sans crainte de trop de révoltes les nobles peu scrupuleux tirant trop de jus de leurs oranges à pattes.

Aujourd’hui, les mass media font la même chose, et leurs œuvres vives sont mes prêtres. Comme eux, ils vendent à la plèbe une imbuvable promesse, celle de la satisfaction immédiate des désirs par la consommation. Les derniers seront les premiers puisque la consommation a créé le « chic et pas cher », le « luxe pas cher », et la tendance « chic et pas chère ». Dans un monde où même la guerre, paraît-il, se fait « pas chère » (oui, on parle de conflit low cost, aujourd’hui), on raconte décidément n’importe quoi, et plus c’est gros, plus ça passe. Les mannequins à la mode et les actrices défilent pour H&M, et la consommatrice de base s’y croit, avec les mêmes vêtements sur le dos. Si on peut tout avoir pas cher, pourquoi essayer de vraiment monter ? Idéologie décadente ! De toute façon, on a quand même de quoi manger (mal), se loger (mal), se soigner (mal), et même de se faire plaisir (mai alors attention, en low cost), alors on va pas se plaindre : faux espoir évitant de toucher le fond. L’objectif de ces mass media, télé, presse à sensation, et autres, est atteint : jamais le cerveau de Tchandala n’aura été aussi disponible. Il faut dire qu’on a instruit et éveillé ces braves paysans pour qu’ils servent à produire de la technologie. Par là même on leur a offert un pouvoir, qu’il s’agit de leur voler, sous leur nez, avec leur consentement. D’une pierre trois coups : ça les endort, ça rapporte, et ça les fait consommer davantage, donc ça rapporte encore plus. Quand les artistes contestataires vendent des disques, le pouvoir économique s’enrichit, s’accroît. Le malheur de Tchandala nourrit l’hydre, son faux bonheur low cost aussi !

Modèle typique du pouvoir en occident dans la 2e moitié du XXe siècle, ce modèle est pourtant d’ores et déjà usé, puisque l’auxiliaire, le troisième larron, le petit dernier, s’est montré plus capable et moins dangereux que le second, le pouvoir politique.

En effet, ce pouvoir politique, même manipulé, même acheté, reste soumis au vote de Tchandala pour fonctionner. Et si, aussi improbable que cela puisse paraître, les rebelles trouvaient une faille à la cuirasse de l’Etoile de la Mort ? Si le ras le bol de faux bonheur de certains de ces cerveaux suffisait à ne plus les rendre disponibles, et qu’ils devenaient assez influents pour entraîner les autres avec eux ? Et si la classe montante, le « gratin de Tchandala », déclenchait une révolte, pire, une révolution ? Si elle élisait une personnalité suffisamment folle pour suivre l’impulsion de son peuple et se débarrasser de ses chaînes de retours d’ascenseur ? A la fin du XXe siècle, le monde commence à se fragmenter, des pays qui ne comptaient pas commencent à mettre leur nez dehors, dans l’arène internationale. L’accélération de l’inégalité de la répartition des richesses se fait sentir dans le monde, mais aussi en occident. Le pouvoir économique, qui comme tout pouvoir n’en a jamais assez, doit s’assurer de ne jamais se retrouver face à un homme politique se rappelant soudain que tous les citoyens de son pays sont soumis aux mêmes lois, et, théoriquement, à son pouvoir. Que les pouvoirs régaliens appartiennent directement à l’Etat, et pas à l’argent, qui ne le possède que par son intermédiaire. De plus, la dernière combine à la mode pour s’enrichir vite et bien, la financiarisation de l’économie, va avoir besoin, pour se réaliser sans que les cadres techniques qui la permettent ne se rendent compte qu’on se moque ouvertement de tout un chacun, d’un « surge » dans les distractions offertes à Tchandala, et des ventes de psychotropes par la même occasion.

Rompus à l’usage du pouvoir, à la cybernétique, le pouvoir économique va appliquer non une mais deux stratégies pour se prémunir de tout problème au niveau politique. L’un d’eux au moins fera l’objet d’un billet à part.

Le premier est d’assujettir la politique, le premier paravent, aux médias, le deuxième… et non l’inverse, comme du temps de l’ORTF, où l’état démocratiquement élu, et représentant du peuple, avait encore du pouvoir. La politique réalité, le show politique à l’américaine, était né. Désormais, le politique n’est plus un séducteur et un cybernéticien, il est un séducteur. La politique, de l’art de diriger les peuples, doit devenir l’Ile de la Tentation avec des costards cravates. La décrédibiliser, en y plaçant non l’élite, mais les ratés, les incapables, de la nouvelle oligarchie, la couper de son pouvoir en l’inféodant à Big Brother, le nouveau bras droit du pouvoir économique. La couper de sa base électorale, confuse, stupéfaite, hésitante, devant ces gens incapables de produire un programme, d’être cohérents, d’avoir du courage, qu’on leur propose comme classe politique. On lui enlève ses dernières raideurs aristocratiques en mêlant son sang avec celui des amuseurs publiques, prétendument artistes, en luis faisant jouer des farces burlesques et des frasques adultérines, pour amuser la plèbe et finir de tuer l’ombre majestueuse des anciens rois. A présent que la classe politique, sans pouvoir, ridicule, fait rire et fait pitié plus qu’elle ne représente quoi que ce soit, la boucle est bouclée. Plus personne n’est aux commandes, hormis « le système », le gaz qui commande dans le gaz commandé, et on est définitivement sorti de toute tentative démocratique. Le dernier lien entre le peuple et le pouvoir est rompu, on a fait rentrer les derniers dans la Matrice. Les fonctions régaliennes, diluées, confuses, disparaissent, et on inscrit dans les constitutions la vraie nature de la Force : les directives économiques. Quand le peuple n’en veut pas, on se passe de son avis. Et après, on se plaint que le peuple n’a plus d’identité, et se résume à une population ruminante ou stérilement rebelle à une autorité qu’elle ne conceptualise même pas.

Mais ça ne suffit pas : si le succès en Europe est total, et modèle du genre, les autres pays, les nouveaux, et même les Etats-Unis, qui gardent au moins pour eux, aussi mauvais que cela puisse paraître, un sens de la force non économique au travers de la puissance militaire et de la religion, menacent encore l’hégémonie du Capital. Pour cela, puisque les autres civilisations ne sont pas encore mûres pour l’ultra consumérisme et l’abandon des formes plus traditionnelles du Pouvoir, il faut déployer une vraie stratégie, qui n’est pas un tour de passe-passe pour civilisations vieillissantes et dont l’élan vital est déjà trop faible pour lutter. Cette fois-ci, on va frapper un grand coup. On va sortir la carte qui tabasse : l’enveloppement stratégique.

L’enveloppement stratégique consiste à attaquer au niveau supérieur des règles de conduite plutôt que d’affronter directement les forces vives. Exemple : battu en 1945 par les USA, le Japon, totalement ruiné sur tous les plans, dans sa lutte effrénée à la production et à la modernisation, va se relever malgré les restrictions et l’occupation militaire, par d’autres moyens, et devenir la 2e puissance mondiale, voire la première, si on fait abstraction des divers bricolages financiers qui habillent le PIB étasunien.

Ici l’enveloppement stratégique va être de nature plus géographique. En étant citoyen d’un état et confiné principalement dans celui-ci, on reste à la botte d’un éventuel furieux arrivant au pouvoir et décidant de réinvestir ses fonctions. Il faut sortir des frontières politiques. Par une attaque de flanc et un enveloppement à faire pâlir d’envie un grand chef de guerre, le pouvoir économique se fait non plus national, ou international, mais métanational, transnational. Il définit des entités qui sont plus grandes, plus riches, que les états. Loin des alliances militaro-étatiques, il tisse sa propre toile relationnelle, plus étoffée, il enveloppe le concept même d’état. La mondialisation de l’économie est une manœuvre d’enveloppement stratégique du pouvoir économique sur le pouvoir des nations. Face à ce pouvoir globalisé ne peut se dresser qu’un pouvoir régionalisé, qui ne peut que perdre, face à plus grand, plus riche, plus fort que lui.

7 octobre 2010

Partie 05: A quel monde s'attendre au XXIe siècle ?

Je ne m'éterniserais pas à refaire ce que d'autres ont fait bien mieux que moi.
De plus j'expose ici un constat, pas une production personnelle.
Le meilleur résumé de la situation que je connais bien depuis 2006, je l'ai trouvé ici, il y a quelques jours:

Lisez-le bien attentivement, et n'hésitez pas à vous balader sur cet excellent blog, où je n'ai pas trouvé un seul article inutile.

Ça se passe ici.

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7 octobre 2010

Partie 04: LE GROUPE: En finir avec la "fracture sociale" et l'inégalité.

LE GROUPE: En finir avec la "fracture sociale" et l'inégalité.

Ô combien elle m'exaspère, cette expression !
La fracture sociale, la fameuse "société à deux vitesses", que tour à tour on rend responsable de tous les maux du pays et des voisins, ou que l'on nie, purement et simplement, par exemple en déclarant que les banlieusards choisissent de vivre dans une banlieue pourrie (et pas à Neuilly-sur-Seine comme tous les gens biens).

DIVIDE ET IMPERA. Avant de faire de la politique, apprenons nos classiques.

Ainsi, selon la sensibilité politique, on place cette fracture plus ou moins haut dans l'échelon du plus au moins riche. On crée des riches et des pauvres là où il n'y a que des individus.
Je ne nie pas qu'il existe des riches, et des pauvres, tout comme je ne nie pas qu'il y ait des gens en bonne et en mauvaise santé, des gens saints d'esprit et des fous. Je ne nie pas l'inégalité, je ne la refuse pas, je n'essaye pas d'en créer un autre "pour compenser". Comme s'il était possible de compenser! Comme s'il était possible de penser une égalité quelque part, dans quelque domaine que ce soit! Le judéo-christianisme l'a inventé, cette notion d'égalité, et l'instrument politique de l'ancien régime, lié à l'Église, a du s'inventer une schizophrénie de premier ordre pour ne pas en tenir compte.
Les Lumières en ont fait quelque chose de toujours aussi faux, mais d'intéressant dans sa perspective d'"égalité des droits". Le droit, c'est à dire la sphère légale, on peut agir dessus. "Égalité des droits à égalité de devoirs" aurait été plus juste, mais il faut pardonner l'élan spontané de générosité de cette période positive où l'on changeait le monde.
Mais ailleurs il n'y a pas d'égalité. Tous les individus ont des capacités différentes, des origines sociales différentes, et par là même ils ne sont pas égaux.
La seule égalité qu'on peut artificiellement leur offrir, c'est de se battre selon les mêmes règles et avec les mêmes armes. L'inégalité fait partie de la nature et est un puissant moteur de la vie. De même l'inégalité sociale est un puissant moteur de civilisation. Charge à cette civilisation, pour être juste, non pas de "niveler" la population, mais de ne pas former des castes imperméables. Assurer à chacun la certitude de se battre dans le même cadre de loi et avec les mêmes armes, voilà la justice sociale, qui est tout sauf une non reconnaissance de l'inégalité entre les gens, ou, pire, une tentative forcément maladroite de rétablir cette inégalité en en créant d'autres, ou en nivelant (par le bas).
Comment peut-on ainsi pester à la fois contre les inégalités et la disparition de l'ascenseur social ? L'un implique l'autre !
Le nivellement, de même, se fait toujours par le bas, parce qu'on ne peut aller à l'encontre de la nature: il est plus facile d'affaiblir que de renforcer. Le nivellement crée une réelle fracture, en deux parties, qui est la raison de la chute de l'utopie communiste. En nivelant, on crée non pas un mais deux niveaux: on sépare ceux qui sont nivelés, qui n'ont pas vraiment le choix, de ceux qui nivèlent, qui peuvent se plier au nivellement, s'ils sont assez fanatiques et jusque-boutistes, ou pas, ce qui arrive généralement.
La création de castes, elle, est presque inévitable, et est due à une combinaison de deux facteurs économiques et sociaux: la notion d'héritage, issue de celle de la propriété privée, et l'inégalité fondamentale entre les individus. Inévitablement, si on prend une population lambda, même "égalisée", au cours de leur vie, certains de ses membres vont "réussir" socialement, et d'autres non, à cause ou grâce à l'inégalité de force, de caractère, d'intelligence, de perception du monde et de morale qui les distingue. Le leg d'une partie des résultats d'une génération (qui est la richesse produite, en argent, en éducation, en expérience) fait que la seconde génération n'est déjà plus en situation d'égalité sociale. Au bout d'un certain nombre de générations, ceux qui auront été régulièrement raisonnables et qui auront réussi s'élèveront à un tel point parmi les autres, fortunes dilapidées, accidents de la vie, échec de génération en génération, que même avec des individus très moyens voire peu efficaces, la chute de leur famille sera tellement faible à côté des sommets atteints qu'ils continueront à dominer.
A contrario, la concentration des richesses dans les mêmes mains, et la mauvaise politique de génération de "lesser sons of greater sires" assèchera suffisamment la société qu'ils dirigent pour que l'ascension sociale ne soit plus possible. Ainsi, dans le fonctionnement sain et naturel d'une société, une stratification, une sédimentation, de plus en plus injuste pour la génération en cours, s'opère.
La stratification en classes sociales imperméables d'une société est inévitable et est une maladie du temps, comme la vieillesse. Elle est le signe de la mort imminente d'une civilisation. Cette mort sera plus ou moins rapide en fonction des troubles qui agiteront à ce moment là le peuple de cette société, et de l'état global du système monde dans lequel ils évoluent. Cette mort peut-être une révolution violente et sanglante, sur quelques années, ou une lente déliquescence putride, qui peut durer des siècles.
Tout comme l'homme est mortel, ce qu'il bâtit, civilisation y compris, l'est aussi. Le vieillissement sclérose, c'est bien connu. Et la sclérose tue.

Mais revenons à cette chère vieille fracture. Elle illustre une idée simpliste de l'inégalité. Même sédimentée, l'inégalité n'est pas à un niveau mais à plusieurs, comme dans le fond du lit d'une rivière. Plus finement, même, et pour employer une métaphore physique, c'est une fracture... continue ! L'inégalité sociale est un gradient, de richesse, de culture, d'éducation, de vertus (et chaque notion a son gradient qui ne répond pas à la même fonction de répartition, il y a des riches idiots et des pauvres qui réfléchissent, les fameux mécontents de Talleyrand).

Pratique pour régner ! Sur un gradient continu d'attributions, de privilèges, mais aussi de vertus, on place la fracture ou on veut, selon le résultat politique espéré, puisqu'elle n'existe pas. Demandez à un mathématicien de vous trouver une discontinuité sur une fonction continue, il ne le fera pas, et vous rira au nez. Payez-le suffisamment, il vous la trouvera, et ou vous voulez, encore !

Ainsi, en plaçant la fracture (et autre source d'inégalité décriée à tort et à travers) où l'on veut, un objectif est atteint: séparer une population en sous-peuples, en les opposant sur leurs avantages et leurs lots d'inconvénients: on opposera le travailleur salarié au libéral, le cadre à l'ouvrier, l'immigré au français "de souche" (genre ça existe), le travailleur au chômeur, le musulman au juif, au chrétien et à l'athée... La liste est interminable. La nation n'est pas fracturée, elle est multi-clivée, morcelée. Rentrez pas là dedans, c'est une vraie boucherie ! Et on en arrive au même mal que dans le nivellement, écrasement, je devrais dire, pour illustrer le côté "par le bas". Tout comme il y a les écrasés et les écraseurs, il y a les morcelés et les morceleurs. De tous poils, de tout bords politiques, les morceleurs suivent une règle simple:
DIVIDE ET IMPERA. Sales riches qui gagnez 4000 € par couple à Paris d'un côté, sales Roms qui êtes tous des voleurs c'est bien connu de l'autre. La liste est longue. Et pendant que les morceaux s'agitent dans les tressautements de l'agonie, les morceleurs passent à table... La nation, le peuple, est morcelé, par la fracture et par d'autres choses du même tonneau, parce qu'une population désunie est plus simple à contrôler et à distraire.

Cependant, le vrai mal est encore ailleurs.
Si l'inégalité est un gradient continu (ou au moins continu par morceaux si de vraies castes se créent, comme dans l'oligarchie actuelle), le milieu, la population, elle, est discontinue par nature. En morcelant au maximum la population, on en arrive à séparer tous les gens un par un. Là où le politique crée un morcellement à l'emporte pièce, le vrai pouvoir fait encore plus fort: il vaporise.
Notre société est un gaz, et non plus un liquide. Il n'y a plus de ciment entre les briques, mais il n'y a plus non plus de briques, puisque la dernière, l'unitaire, la famille, est en train de se dissoudre totalement. Chacun, dans l'autisme caractérisé de notre individualisme, va dans son coin, fait pour lui, essaye de surnager. Chacun, dans sa recherche sans faim de plaisir immédiat et personnel, se soustrait aux forces de cohésion qui permettent l'existence d'une société. Chacun pour soi, Dieu pour tous, oh mais attendez, Dieu est mort, donc en fait, heu, chacun pour soi, quoi...

Ainsi, le pouvoir économique, qui a créé le modèle du consommateur pour le substituer à celui de citoyen, de l'ère industrielle, a pu vaporiser la société, foyer par foyer, et puisqu'avoir des enfants n'est plus vraiment à la mode, à l'heure du "TINK" (two income no kid, ou deux revenus et pas d'enfants, modèle de "foyer" originaire de milieux homosexuels américains, et depuis répandus dans les communautés hétéros), bientôt individu par individu. Ces géniaux atomiseurs ont ainsi pu pousser à son paroxysme "DIVIDE ET IMPERA". Ainsi, chacun, désorienté dans un gaz mouvant sans cesse, flottant à vau l'eau, presque au hasard, ne sent une appartenance à rien ni à personne, et ne connaît que les bords du contenant qu'il occupe. Vaporisés aussi, dans l'ombre des directoires d'entreprises et des comités d'actionnaires, les visages du pouvoir, eux aussi en apparence morcelés jusqu'à l'individu.
Dans cette soupe primitive de particules élémentaires où aucun atome ne peut exister, le pouvoir permet deux choses:
- Pas de visage sur le pouvoir, pas de grand dictateur, pas de roi, pas d'empereur. Ce pouvoir, désincarné, sorti de l'Histoire, se fait appeler "système".
- Si un visage devient connu pour un quelconque méfait, il hérite de la haine accumulée contre le système par ceux qui s'en plaignent. Il devient la tête de turc, LE salaud, comme s'il était isolé, seul de son état. Il plongera, avec attaché autour du cou les pêchés de tous les autres. Ainsi, le système, gaz dans le gaz, incolore, inodore, et sans saveur, persiste... Jusqu'à ce qu'un jour un solide ne crève la bouteille et disperse vraiment aux quatre vents le gaz qui nous sert de société.

Inattaquable de l'intérieur, ou presque, le pouvoir du gaz l'est, par contre, de l'extérieur. Parce que les usines à gaz sont fragiles quand le milieu dans lequel elles sont bâties change, quand la fonction pour laquelle on les a prévu est caduque. Et c'est bien le problème de l'Occident gazéifié. Comme je l'expliquerais dans d'autres articles, le système monde change et le XXIe siècle ne sera pas un siècle de domination occidentale. Mise sur la sellette, la bouteille de gaz devenue socialement inefficiente va subir le plus gros tremblement de terre de son histoire, et rencontrer d'autres sociétés, qui, si elles sont très loin d'être parfaites, ne sont pas gazéifiées, elles.

7 octobre 2010

Partie 03: LE GROUPE: Puisque tout part de là.

"Un peuple n'a que les dirigeants qu'il mérite".

J'entends souvent cette maxime que j'apprécie tout particulièrement en matière de politique.

Il faut se représenter ceci et bien se le mettre dans le crâne: en démocratie ou non, un peuple n'a que les dirigeants qu'il mérite. Je serais tenté de compléter "en démocratie plus qu'ailleurs" si j'étais convaincu qu'une démocratie existe quelque part dans ce monde, mais ma conviction n'est pas faite dans ce domaine.

Cette maxime indique donc la chose suivante, que tous devraient bien se mettre en tête. Un peuple, qu'est-ce que c'est ? L'Académie française nous dit:
"Vaste ensemble humain considéré en fonction de réalités géographiques et historiques ou des liens divers qui peuvent unir ses membres."
A rapprocher donc de Nation: "Communauté dont les membres sont unis par le sentiment d'une même origine, d'une même appartenance, d'une même destinée."
Un peuple n'est donc pas une population: "Ensemble des habitants de tout lieu défini par des limites géographiques, politiques ou administratives."

Définitions intéressantes à l'heure où on pense (mal, mais on essaye au moins) de définir l'identité française.
Premier écueil: le chef dirige un groupe. Mais quel groupe ? Le peuple, ou la population ?
Qui est le peuple ? L'ensemble des gens qui ont un lien entre eux qui les unissent.
Qui est la population ? L'ensemble des gens circonscrits par des limites administratives, politiques, et géographiques.

CE NE SONT PAS DES SYNONYMES !

Le chef dirige donc dans les faits la population, dans l'esprit le peuple. La population subit sa loi, le peuple, lui, "ne mérite que ça".

Trop souvent, dans nos sociétés individualistes et dans notre pays râleur de nature, nous sommes la population, et non le peuple. En se plaçant en population, nous devenons le Tchandala de Nietzsche: on subit, on râle, on se montre faible. Arrêtons donc de penser de manière négative: tous des vendus, tous des pourris, y'a rien à faire, on est perdus, on va tous mourir pauvre en ayant perdus nos acquis, mon dieu quelle horreur...

Ou est la force joyeuse de ce pays, de ce peuple que nous somme sensés être ? Ou est notre volonté de puissance ?

Oui, j'ose, et j'ouvre à ce sujet une parenthèse:
Un mot sur ce terme qui fait peur, sur cette philosophie qui fait peur, bien à tort.
Nietzsche, c'est le vilain canard des grands philosophes, celui qui a été réutilisé après sa mort par ceux-là même qu'il détestait le plus.
Quiconque croit que Nietzsche a quelque chose à voir avec le nationalisme, le fascisme, voire le nazisme, est comme les propagandistes et les dirigeants de ces régimes honnis qui ont pour faute ultime d'avoir traîné dans la boue et détruit l'idée de nation en Europe: ils ne l'ont jamais lu, ils en ont entendu parler, et ils n'ont retenu que ce qui les arrangeait.
N'oublions pas non plus que la pensée de Nietzsche a inspiré de grands philosophes français comme Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qui ont bâti en partie sur on œuvre l'existentialisme, et ne sont pas franchement connus pour leur sympathie à l'égard de régimes fascistes...
La volonté de puissance c'est la volonté de vivre, le courage positivé et incarné dans l'être naturel que nous sommes. Ca n'a rien à voir avec l'agressivité ultra-nationaliste caractéristique des fascismes. C'est un peu l'énergie vitale de l'ésotérisme asiatique.

Par le fait que nous montrons si peu d'élan vital politique, si peu de peuple et autant de population, nous méritons les gouvernements fantoches, sans programme, et aujourd'hui même people et bling bling, qui se succèdent à la tête de notre pays.

Malgré tout ce qu'on peut dire des gens qui nous dirigent, comme "éloignés des réalités", "coupés de leur peuple (lequel ???)", on doit au moins admettre qu'ils font partie de celui-ci. Leur comportement, leur éducation, leurs actes et leurs non actes sont dictés par le fait qu'ils sont, comme nous mêmes, des produits de notre civilisation. Bien sur, par le pouvoir qu'ils ont, ils la transforment, mais ils ont commencé comme tout le monde, par y naître.
Nous sommes individualistes à l'extrême, "court-termistes", consommateurs, irréfléchis, profiteurs et jouisseurs. Nous avons des dirigeants qui nous ressemblent.

Nous avons donc des dirigeants narcissiques, myopes, corrompus, sans vrai projet, vulgaires et bling bling. Pourquoi s'offusquer ?

Pourquoi un dirigeant d'un peuple tel que le nôtre devrait-il être désintéressé, droit, honnête, courageux, noble, et visionnaire ? Parce que "nous le valons bien" ?

Si nous voulons espérer un jour voter non pas contre quelqu'un mais pour quelqu'un, il faut déjà qu'il naisse dans une civilisation qui aura une quelconque valeur positive, une valeur ajoutée par rapport à la simples somme des intérêts de ses membres.

Alors avant d'aller critiquer les paillettes sur les yeux de Mr Sarkozy, regardez (non, regardons, je suis comme vous!) les poutres dans nos vies, et dans la conception que nous nous faisons de nous-mêmes en tant que français !

7 octobre 2010

Partie 02: POLITIQUE: Mener un groupe. Définition de la chose politique.

Le principal art de la politique est donc la cybernétique, l'art du commandement.
Mais la politique n'existe pas, comme tout le reste, vidée d'un sujet, d'un objet, et d'un contexte. C'est de la cybernétique appliquée, en quelque sorte.

Il faut donc lire en lieu et place de "l'art de commander", l'art de mener un groupe (sujet) vers un objectif défini (objet) dans le système (contexte).

Cela dit, je n'aime pas la terminologie française dans ce domaine. "Commander" évoque l'ordre. "Présider", ça fait passif en bout de table (c'est pas faux, ça). "Diriger", c'est bien, mais tout le monde dans un contexte politique va y voir et y lire "dirigisme"... pourquoi pas gouvernance tant qu'on y est ? A tous ces termes je préfère "Mener", et tant pis pour l'aspect "Meneur de bande".
Mener un groupe vers un objectif dans un système donné. Mener c'est définir le chemin, montrer le chemin, et ouvrir la marche... Mener, le terme français le plus proche de "to lead". Tout un symbole.
Un commandant donne des ordres. Un président préside, avec tout ce que ça peut impliquer d'autoritairement passif.
Un leader dirige "à l'avant". Il est à la fois le chef et l'exemple.

Nous retiendrons cette définition de la politique dans son exercice et non dans sa préparation (la Séduction).
"Art de mener un groupe vers un objectif défini dans un milieu, un système, défini".

Cette définition implique énormément de choses, qui soulèvent autant de problèmes, de questionnements, de thématiques, que de mots.

ART DE MENER: Ce n'est pas une science, ce n'est pas non plus la pifométrie la plus délirante qui soit. Puisque la politique est un sous-ensemble de la stratégie, qui est aussi un art, elle en découle. En stratégie pas de recette miracle applicable à tout problème, pas même l'hyper technologisation et le culte de l'hyper rapidité qui domine la pensée stratégique de l'OTAN en matière militaire.
En politique non plus. La stratégie est un art simple tout d'exécution. La politique aussi, c'est une praxis, non une théorie académique. Ce qui marche dans une situation A avec un groupe A' et un leader A" a toutes les chances de ne pas marcher pour B, B' et B". Voilà pourquoi tout clivage fossilisé droite/gauche extrême/centre est juste hors sujet. Voilà aussi pourquoi il est stupide de vouloir imposer une idéologie en politique. Une idéologie se fonde sur un succès avec A, A', et A". Si B, B' et B" veulent faire pareil, ça ne marchera pas. Voilà aussi pourquoi un empire, structure politique stable par excellence, dès qu'il est suffisamment contesté ou que son père fondateur meurt, se délite, parfois lentement, parfois abruptement. Même Gengis Khan, l'un sinon le plus grand empereur de l'Histoire, a fondé un empire qui s'est lentement écroulé après sa mort, même si la deuxième génération l'a encore fait grandir. Croire en une idéologie, c'est croire qu'une recette qui a marché remarchera toutes choses inégales par ailleurs. Si la politique ou la stratégie étaient des sciences, en fixant tous les paramètres une recette qui a marché une fois marchera une infinité de fois. Mais c'est un art, ce qui signifie que l'incertitude subsiste même si "tout était prévu pour que ça marche". Tout comme la stratégie militaire, le terrain de la politique est le chaos. Être rigide et fixe dans sa démarche dans l'incertitude et la mouvance continuelle est la dernière des choses à faire.

UN GROUPE: Quel groupe ? Comment se définit-il ? Est-il homogène, quel est le niveau de son morcellement, quelle est sa capacité à se percevoir comme un groupe, quel est son moral, quelles sont ses croyances, quelle est son histoire ? Et pour commencer, y a t-il un groupe... ?

VERS UN OBJECTIF DÉFINI: As-t'on un objectif? Si oui lequel? Quels sont les moyens sont il faut se doter pour l'atteindre, et tout d'abord quels moyens as-t'on ? Ici il faut une idée claire de ce qu'on veut (Ça a l'air évident comme ça mais posez la question aux chefs de l'OTAN et aux chefs des nations qui la composent "Qu'est-ce que vous allez foutre au juste en AfPak ?" Vous allez attendre un moment avant qu'on vous réponde, et la réponse ne sera pas assurée...). Ensuite, il faut mettre en adéquation les moyens dont on dispose et la fin que l'on recherche. Ça porte un nom, ça, un mot oublié en France, en Europe, (si tant est que ces "groupes" existent): la stratégie. Puisqu'on est dans le domaine de la politique, pour différencier de la stratégie militaire, on parle de "grande stratégie": "Art de mettre en adéquation les moyens de la nation (le groupe présupposé) et les objectifs fixés pour celle-ci par ses dirigeants".

DANS UN SYSTÈME DONNE: Le système, là, par contre, c'est peut-être un peu plus simple à définir, et plus compliqué encore à cerner. Le système, c'est le monde actuel... Non, même pas. C'est le monde présent et futur. Gouverner, c'est prévoir. L'instantanéité de pas mal de choses dans notre monde ultra-technologique ne doit pas nous berner et nous faire croire que si la "satisfaction immédiate" est le crédo du consommateur, l'unité de base de la société, alors il ne reste que le présent comme temps, et que l'instantanéité superficielle de notre monde le prive d'un passé et d'un futur bien distinct. Courir partout dans le présent fait oublier le reste, le passé, l'Histoire, le futur, le Devenir. C'est une faute commune de tout le monde. La société existe pour que ses membres les plus nombreux, le peuple, puisse s'adonner à ce travers, bien souvent obligatoire, sans trop de mal. Après tout on est ensemble pour se déléguer du travail afin de se faciliter la vie. Mais cette erreur, pour un dirigeant, est un dilettantisme gravissime. La mission du grand chef n'est pas de gérer l'instant présent. Ça, c'est le boulot de fourmi des officiers subalternes et sous-officiers. La mission du chef est de prévoir le futur en fonction du présent et du passé, et donner des directives pour maintenir le cap vers l'objectif fixé dans un monde sans cesse en mouvement perturbateurs. La meilleure image de chef politique qu'on puisse se faire est celle d'un capitaine de bateau en pleine tempête. Selon le bon principe qu'on ne peut pas être à la fois au four et au moulin, s'il se perd entre cordage à manœuvrer, matelot apeuré, et voie d'eau dans la cale, il n'y aura personne pour regarder les étoiles et éviter de se paumer, ni les récifs pour éviter de s'échouer. Plus le navire est petit, plus cette constation s'estompe. Plus il est grand, plus cette constatation est véridique.
Diriger 60 millions de personnes entre cohésion sociale chancelante, création de richesse hésitante, dans un monde en pleine tempête sur lequel on n'a presque aucune emprise, avec le baromètre qui va renifler la cale du bateau qui prend l'eau ne devrait pas laisser le temps à un chef d'aller faire le singe devant des caméras de télévision pour amuser la petite galerie. Mais comment critiquer et reprocher cela lorsque le système dans lequel on vit est stigmatisé par deux phrases de Gladiator:
- Je n'ai aucun pouvoir ici, mon seul pouvoir est d'amuser la plèbe !
- C'est LE pouvoir.

Fermons la parenthèse cinématographique pour conclure cet article: C'est autour de cette définition que je vais articuler ma construction: j'aborderais ainsi la politique selon quatre grandes thématiques:
- l'art de mener:                              leadership
- le groupe                                      société
- l'élaboration d'un objectif à suivre    stratégie
- dans un système donné                géopolitique

7 octobre 2010

Partie 01: Orientation politique: qu'est-ce que la politique ?

Parler de la politique du monde (géopolitique), et de l'inscription de la France, et de l'Europe, dans celle-ci, suscite pas mal de question. Tout comme Nietzsche décrit comme illusoire la dissociation de la pensée philosophique et de son auteur, déclamant ainsi le caractère profondément dépourvu "d'absolu", de "chose en soi" de toute pensée, je pense qu'il est impossible de trouver quelque chose de fondamentalement objectif et absolu, dans toute réflexion.
Pour pouvoir comprendre la pensée de quelqu'un, mieux vaut le connaître, au moins dans le sujet de son discours.

Qui suis-je, politiquement ? Dans le sens le plus large que peut prendre ce mot.
Je suis un citoyen français, avec tout ce que ça peut impliquer de culturel. Mais je suis, comme beaucoup de mes compatriotes, un marginal politique. Quelqu'un qui, fondamentalement, ne se sent pas représenté, par personne. Aucun homme politique français, de quelque parti que ce soit, n'emporte ma décision. Je vote, parce que je le dois, et que je fais partie de ces gens qui pensent que le droit est lié à un devoir, et qu'en lui même il ne sert ni ne vaut rien. Une société dans laquelle tout le monde a des droits et personne n'a de devoir, ça n'existe pas, et la sentence pour celles qui veulent croire en ce concept est justement de ne plus exister, de se déliter dans le néant.
Je vote mais uniquement pour "la moins pire des solutions".

Suis-je de gauche, de droite, sur les bords ou au centre ?
Je frissonne de devoir écrire une question de ce niveau de stupidité: clivage idéologique dans un pays sans idéologie, sans idées, sans "grande stratégie" comme dit Liddel Hart. Voilà bien un faux débat qui empoisonne mon pays, qui n'est pas le seul je vous rassure. Je ne suis rien de tout cela, de même que je ne suis ni atlantiste, ni pro-européen, ni le contraire de tout cela.

La politique, ça n'est PAS une histoire de passion, et encore moins une histoire d'opinion, publique ou non. Ca n'est pas une histoire médiatique, pas un concours de fréquence de passage sur le petit écran. Ca n'est même pas une histoire d'homme/femme providentiel/le qui va sauver le monde par des idées (^^) radicalement novatrices (^o^). Rien n'a été inventé en matière de politique depuis la chute de Rome, comme rien n'a été inventé en matière de stratégie depuis que l'homme a créé les deux premières civilisations, et la guerre par là même. La quête du pouvoir et l'exercice du pouvoir sont des arts (et non des sciences) millénaires, et croire que l'on crée quelque chose dans ce domaine, c'est croire qu'on invente le jeu de go à chaque nouvelle partie. Le progrès à travers les âges a sans cesse renouvelé la manière d'utiliser ces arts, leur exercice, mais, fondamentalement, ils n'ont pas changé de nature profonde parce que l'homme n'a pas profondément changé de nature en si peu de temps.

Qu'est-ce que la politique, alors ? C'est un art double, et doublement humain. Loin d'une dualité droite/gauche, la dualité politique impose d'un "grand homme" la maîtrise de deux grands arts.
Le premier est l'art de commander. Si je voulais utiliser un vocable scientifique je dirais: la moitié de la politique réside dans la cybernétique, mot à mot de sa racine grecque "art de gouverner".
Le deuxième est une conséquence de la mécanique du pouvoir, et bien qu'elle soit très(trop?) visible en démocratie, elle n'est qu'une conséquence de la contingence absolument nécessaire à la pratique de la cybernétique: l'accession au pouvoir. C'est l'art du tribun, aujourd'hui du "politic people": l'art de la Séduction.
Il faut bien comprendre que si l'art de séduction semble évident aujourd'hui, il est toujours nécessaire. Même dans le plus sombre des autoritarismes, même en monarchie de droit divin, pour avoir une influence cybernétique sur la société, il faut plaire "aux gens qui comptent". Ce peut être le clergé, les nobles, les lobbies, le parti unique, ce que vous voulez.
Ces deux domaines relèvent tous deux d'un seul: la Stratégie. Être séduisant est le résultat d'une stratégie pour soi, bien gouverner est le résultat d'une stratégie pour le groupe de personnes qu'on représente au sein du groupe que l'on commande.
Un homme politique efficace ne peut qu'être un bon stratège entouré de bons stratèges. Un grand général, instruit et inspiré, épaulé par un État Major compétent.
Beaucoup pour un seul homme! Énormément même. A tel point qu'on en arrive à une opposition qui est le talon d'Achille d'une démocratie.
Une cybernétique, pour être bonne, n'a pas à plaire. Elle doit être rationnelle, et efficace. Un général ne donne pas un ordre à ses troupes pour leur plaire, mais pour gagner une bataille.
A contrario, séduire c'est plaire, et uniquement cela.
Unir les deux est d'une rareté réservée à un tout petit nombre d'individus, et à ma connaissance aucun n'est parvenu, jusqu'à présent, à maîtriser les deux avec égal brio. Peut-être qu'un être aussi fort que le meilleur des cybernéticiens et à la fois aussi séduisant que le plus grand des séducteurs est ce qu'on appelle une divinité. Pas un être humain, en tout cas.
Bien sur, à des niveaux divers et moindres, on trouve de grands noms de l'histoire.
En démocratie, ou en ce qui en tient lieu, plaire est capital. Il faut initialement du charisme, et de la popularité dans la durée. Plus les élections sont rapprochées, plus ce trait est important. Plus les résultats d'élections sont serrés, plus cela est encore exacerbé. Plus un pays va mal, plus la popularité doit être grande. Vu que Dieu n'existe pas puisqu'il est mort, le chef d'une démocratie n'est qu'un homme, et en tant que tel il est choisi par son parti puis par le peuple en fonction des espérances que l'on a dans ces capacités de cybernéticien, et dans la RÉALITÉ de son pouvoir de séduction.
D'un côté on espère, de l'autre on voit, on sait, on sent.
Qu'en déduisez-vous quant aux hommes politiques dont la candidature est envisageable dans un état démocratique dont la vie politique est active (élections rapprochées), et qui oscille, grosso modo, entre deux tendances politiques, avec des résultats historiquement paritaires (genre 52 / 48 % au deuxième tour) ?
Ce sont des séducteurs hors norme, des bêtes de course. Ils ont consacré leur vie passée à savoir séduire. Séduire "les gens qui comptent", séduire le peuple.
Bête de course contre bête de course, ils arracheront la victoire de manière limitée et devront composer avec la moitié de la population qui a voté contre eux pour gouverner.
De plus, puisque ce ne sont que des hommes, et non des dieux, leur capacité de cybernéticien est nettement inférieure à la tonne de poudre aux yeux qu'ils savent déployer pour séduire. Qui qu'ils soient, quelque soit leur parti, ou même leurs intimes convictions. Sélectionnés par et pour leur capacité à séduire, ils sont ce que l'humanité a fait de mieux en terme de séducteurs. Gagner le pouvoir est leur école, leur raison même d'être. Le garder, et surtout savoir quoi en faire, c'est une autre histoire. L'alternance de politiques vides de sens profond depuis 1968 en France est la démonstration de cet état de fait.
Je ne suis ni gaulliste, ni militariste, ni bonapartiste, mais force est de constater que depuis la chute de l'Ancien régime, deux hommes d'état ont profondément marqué notre histoire, pour le meilleur comme pour le pire, mais ils l'ont au moins marqué. Napoléon Ier, Empereur des français, et le général De Gaulle. Tous deux, comme tous chefs, ont réalisés de grandes choses et ont commis de graves erreurs. Mais c'est eux qu'on a retenu principalement.
Tous deux avaient une capacité certaine à séduire au sens politique du terme. Mais ce sont des circonstances particulières qui ont favorisé leur accession au trône ou à la présidence. Ils n'ont pas été élu comme les autres, et ne l'auraient pas été dans des circonstances normales. Mais c'étaient tous deux de grands cybernéticiens, éduqués, et formés, dans ce sens.
Voilà la grande leçon à tirer de ce billet. La première qualité d'un chef est le talent cybernétique, non la capacité à séduire. La nature (ou la dénaturation) de nos démocraties modernes (et non de la démocratie en tant que système politique) nous prive par essence de toute personne ayant ce talent comme talent principal.
Voilà ma croyance politique, voilà pourquoi tendance ou orientation politique ne veut rien dire pour moi, voilà pourquoi je ne me sens représenté par aucun politique actuel.

7 octobre 2010

Partie 00: Retour à la Politique et à la Géopolitique

Il y a un peu moins de deux ans j'écrivais ma décision d'arrêter de lire et de penser à de la géopolitique, puisqu'elle n'est pour moi qu'un sous produit de la stratégie, au même titre que la politique, ou du moins ce que la politique devrait être. Après avoir beaucoup lu d'ouvrages sur la stratégie, je suis toujours convaincu, plus qu'alors, de cet état de fait.

Alors pourquoi réouvrir cette section du blog ? Deux ans de plus d'absence dans le milieu géopolitique, et toujours les mêmes informations. Comme si de 2006 à 2008, puis de 2008 à 2010, rien n'avait, sur le fond, changé. Quatre ans d'actus pour rien. En France, en Europe, aux Etats-Unis, en Chine, en Inde, tout continue sur sa lancée. Malgré cet ère de l'information ultra-rapide dont on nous parle à longueur de temps, la marche des peuples est toujours "lente", le rythme de l'histoire ne change pas beaucoup.

Je rouvre cette section parce que lire et parler de ses lectures est insuffisant. La véritable information, celle qui parle du grand échiquier mondial, n'est que peu diffusée. Ou mal diffusée. Ou diffusée selon une ligne de conduite imposée dans les grands médias. Il faut donc lire, et écrire. Non pas sur ce qu'on a lu, mais de la production personnelle. Après avoir tant appris, je pense avoir un devoir de réflexion, et de publication, de mes réflexions.

D'où me vient cette idée de devoir ? D'un changement personnel. En 2008, j'étais seul au monde ou presque, me désintéressais du monde, et me moquais bien de pas mal de choses. Aujourd'hui, fin 2010, j'ai un fils, de quatre mois, un petit être humain du début du XXIe siècle. Je veux continuer à savoir dans quel monde il va vivre, et comprendre ce monde pour l'y préparer. Et ce que j'y vois me conduit à penser que tous les petits bébés européens de 2010 ont intérêt à être très soigneusement préparés au monde qui les attend. Un monde que l'Europe ne connaît pas, un monde qui sera différent, d'un point de vue géopolitique, géostratégique, je devrais dire, de tous ce qu'elle a jamais connu.

22 juillet 2010

Fondamentaux de l'escrime médiévale de tradition Lichtenauerienne

I) Introduction

Objet du présent document:

Ceci est une tentative de "mettre à plat" l'escrime sus-évoquée, de manière synthétique, en des termes simples et non techniques, afin d'en donner au lecteur, doté d'une connaissance en art martial d'arme, ou non, un aperçu non exhaustif se concentrant sur les fondamentaux.

L'objectif est donc de délivrer un exposé de vulgarisation sur "la base de la base".

L'escrime de tradition Lichtenauerienne:

C'est une escrime civile du XIVe-XVIe siècle, pratiquée à l'épée longue (épée "bâtarde") tenue généralement à deux mains, entre deux partenaires sans armure.

L'arme doit permettre de couper, entailler et estoquer. Elle est droite, possède deux tranchants, et la garde est constituée de deux quillons assez longs, droits ou légèrement courbés vers la lame. D'autres formes existent mais il faut retenir l'épée longue en forme de croix latine.

En tant qu'escrime Médiévale (ou début Renaissance) elle est utilisée pour les affaires sérieuses (duels, autres combats mortels ou incapacitants) et pour le jeu (joutes ou salles d'armes, aujourd'hui on dirait "pour le sport"). Cette nature en fait une escrime non régulée (elle est supposée "marcher en vrai"), il n'y a donc pas de règles sportives dans sa théorie: pas de règle de priorité comme en escrime olympique, pas de règle de "perfection du geste et de l'attitude" comme au Kendo, et pas d'interdit au niveau de l'usage de l'arme ou du corps: lutte, mises à terre, clefs et prises de soumission, saisie de l'épée à une main, ou par la lame (d'une certaine façon bien entendu), désarmements, sont tout à fait licites. Le combat est perçu comme étant "en un point" et se termine (dans la théorie, pas forcément en exercice) lorsqu'une frappe, une entaille ou un estoc mortel ou incapacitant est donné, ou que l'un des adversaires et dans l'incapacité de continuer à se battre (immobilisé, par exemple). Ceci donne à cette escrime un caractère, non pas défensif, mais "prudent", en tout cas aucunement suicidaire: le coup double est considéré comme une double défaite. Dans l'esprit, il faut vaincre, et surtout ne pas être vaincu. Comme toute escrime, bien entendu, l'esprit de celle-ci est très clairement offensif, mais JAMAIS au prix de son intégrité physique. Les deux pans offensifs et défensifs sont donc d'égale importance, et l'une des grosses difficultés est de gérer les deux, ensemble, à tout moment, de trouver un esprit offensif suffisant pour vaincre tout en ayant toujours à l'esprit sa sécurité personnelle.

II)  Le corps: Posture, Respiration, Mouvement, Saisie de l'arme

Cela paraîtra évident à nombre d'escrimeurs, mais je tiens à le préciser: aucune escrime ne peut s'envisager "tout en force" (i.e. tout le temps).Une escrime européenne médiévale ne fait aucunement exception à la règle. Au contraire, toute escrime est un art d'agilité, de souplesse, de rapidité, et d'à propos.

Les deux éléments les plus cruciaux de l'escrime sont sans doute la distance et le timing. Il est impossible de trouver un bon timing et changer rapidement de distance pour toujours être "à la bonne" si le corps n'est pas globalement tout en souplesse, détendu, disponible. Il doit être droit sans être raide, avec le poids bien réparti entre les jambes. Il faut savoir et pouvoir très vite changer de direction, aller en avant, en arrière, sur les côtés, le tout en un temps minimum et avec une précision maximum. Ceci pour les déplacements. Pour les mouvements de l'arme commandée par les bras, c'est la même chose: souple, souple, souple encore. Il y aura des moments où il faudra être fort, mais la plupart du temps, mieux vaut être souple, disponible, rapide, les épaules relâchées. Les angles de coupe sont également meilleurs quand on est détendu, et, lame contre lame, on donne moins d'information à l'adversaire si on n'est pas crispé, saccadé, brutal.

Il faut donc être droit, détendu, les muscles globalement relâchés, sauf lorsqu'un effort leur est demandé.

Avec cette posture et cette décontraction vient la clef de l'endurance: la respiration abdominale lente et profonde. Respirer avec le bas des poumons/le ventre, inspirer assez rapidement et expirer lentement. C'est la clef d'une bonne oxygénation, qui permet aux muscles de ne pas "serrer" et au cerveau de ne pas avoir de "blancs" alors qu'il est extrêmement sollicité.

La position de base de l'escrime lichtenauerienne est commune à presque tous les arts martiaux: pied avant vers l'adversaire, pied arrière ouvert à 45° ou un peu plus. Ensuite, on marche. Pas alternés ou chassés, l'important est de pouvoir se déplacer vite, bien, et en synchronisation avec la lame et les bras, et ce dans toutes les directions, quelque soit la direction du pas précédent. En général les pas sont rapides et de faible amplitude, cela aide à garder une bonne stabilité.

Il faut aller dans le sens de sa frappe: si on frappe depuis l'épaule droite, il faut faire un pas sur la droite, et vice versa. Selon l'effet recherché (la position désirée par rapport à celle de l'adversaire), le pas sera plus vers l'avant ou plus vers le côté, voire en arrière. Mais il faut toujours aller du côté d'où vient le coup: un déplacement complètement en avant ou en arrière est dangereux, parce qu'on reste sur la même ligne d'attaque, ce dont l'adversaire profitera.

Un mot sur la saisie de l'arme: elle est assez libre et assez variée en escrime lichtenauerienne. Mais une chose est sûre: mis à part la fraction de seconde où la frappe porte, il ne faut jamais serrer la poignée. Une épée se tient comme une canne à pêche, comme un club de golf, et pas comme un marteau (enfin pas comme la plupart des gens tiennent un marteau ^^). Si vous serrez les mains, vous contractez les bras et les épaules, et cela est mauvais: vous deviendrez lent et mal à l'aise. Double peine, en serrant la poignée, vous saturez les capteurs de pression de vos doigts et de votre palme, et vous vous privez donc d'une grande partie du "sentiment du fer" par lequel vous saurez quoi faire lorsque les lames sont au contact. Triple peine, vous transmettrez très bien vos intentions à votre adversaire ! Une épée longue médiévale n'a rien de lourd: entre 1.3 et 1.7 kg, la plupart du temps sous la barre des 1.5 kg. Les armes d'entraînement en bois ou en matériau synthétique sont plus légères: inutile de forcer !

III) Objectif de l'escrime: une théorie simple de l'approche

L'escrime, quelle qu'elle soit, est tout d'équilibre, de mesure, de sensation, et de souplesse d'adaptation. En tant que telle elle est l'un des plus beaux arts qu'il soit donné d'apprendre. Napoléon Ier dit qu'à la guerre il faut alterner offensive audacieuse et défense circonspecte. C'est la même chose ici. On lit dans les sources qu'il faut s'escrimer "avec toute sa force". Ce qui ne veut pas dire "en force" mais plutôt "avec toutes les ressources utiles à ce qu'on fait et dont on dispose au moment où on le fait". Je diviserais ces ressources en deux:

1)le Feu/les talents "mâles" de l'escrime/l'offensive audacieuse: l'élan, l'initiative, la force, la franchise, la vitesse.

2)l'Eau/les talents "femelles" de l'escrime/la défense circonspecte: l'absorption des attaques, la souplesse, la perception, la mobilité latérale et arrière.

Chacune des ses deux composantes se complètent et sont aussi importantes l'une que l'autre. Il faut opposer le feu à l'eau et l'eau au feu: ne jamais aller force contre force, assaut frontal contre assaut frontal. C'est un défaut récurrent des escrimeurs débutants. L'eau contre l'eau ne donne rien de bon non plus: de peur de s'approcher et s'engager on débouche très vite sur un échange de touchettes sur les mains ou les doigts qui n'a que peu de choses à voir avec de l'escrime. L'un doit endosser le rôle du feu, qui a l'avantage de l'initiative et de la vitesse. L'autre doit alors prendre celui de l'eau, pour absorber et "perdre" l'énergie de l'autre, avant de prendre pour lui le rôle du feu pour contre-attaquer. Plus fin que cela, même, on peut être eau et feu à la fois, en insérant son attaque, le plus souvent subtilement, dans l'attaque de l'autre: dans notre escrime, il existe des moments où l'on intercale notre lame dans le mouvement d'attaque de l'autre, et où le choc des lames fournit seul l'énergie de couper à notre épée !

Le secret est de savoir passer très vite de l'eau au feu, ou du feu à l'eau, voire dans certaines pièces d'escrime de faire les deux en même temps.

Un mot sur le tempo, le timing: le Temps est une des clefs de l'escrime, comme dit plus haut. Dans notre étude, il n'est pas aussi formalisé que dans les écoles plus récentes, les écoles françaises et italiennes modernes. Dans les sources, il est défini trois notions de temps: l'Avant, qui correspond tant dans son être que dans la manière de l'obtenir à ce que j'ai appelé "le feu", l'Après, qui est "l'eau" temporelle, et le "Même temps" qui est une combinaison des deux, une façon de rattraper un retard pris, comme nous allons le voir.

Cela dit, ce n'est qu'une approximation, et la notion temporelle s'écarte des autres, comme par exemple "fort et faible". Il faut opposer la force à la faiblesse (au sens de souplesse, absorption) et la faiblesse à la force. Opter pour l'un ou pour l'autre n'est mauvais ou bon qu'en fonction du choix de l'autre. Au niveau du temps, au contraire de cette qualité relative, l'initiative, l'Avant, est toujours à privilégier, à conserver, à cultiver, de manière absolue et indépendante. L'Après est un gros désavantage. Il ne faut surtout pas le subir, et y rester. Toutes les techniques de l'Après sont destinées à le quitter et à revenir à l'Avant. C'est un retard à rattraper, en gagnant du temps, je devrais dire en gagnant un temps: C'est la notion de "même temps".

Si on perd l’initiative, on est dans l’Après. Alors on doit absolument regagner l’Avant en agissant dans le "même temps" que l’attaque adverse par un détournement offensif.

Typiquement, dans l'approche (du début du combat au premier coup asséné), l'un des deux partenaires va prendre l'initiative, soit par le feu (attaque), soit par l'eau (inviter l'autre à attaquer d'une manière judicieusement choisie... mais pas pour lui !) L'autre réagira en conséquence. Même si il apparaît en première approche que laisser faire pour avoir des informations est préférable, acquérir l'initiative, et la garder, s'avère par l'expérience encore plus profitable, ne serait-ce que parce qu'on peut donner volontairement de fausses informations ce faisant, mais aussi parce que la psychologie est capitale en escrime: attaquer, c'est montrer sa force, et vaincre psychologiquement un adversaire entraîne invariablement une victoire physique très peu de temps ensuite. "L'offensive audacieuse" a donc toutes ses lettres de noblesse, pour peu qu'elle ne soit pas suicidaire et peu judicieuse.

Entrons à présent dans le cas le plus courant de l'approche.

L'escrime de Lichtenauer n'apporte que peu d'emphase sur les positions de départ, et le grand maître germain ne semble pas en dire plus (y compris au travers des gloses) que ne peut le faire Miyamoto Musashi dans son Essai sur les Cinq Roues par exemple. Il y a des gardes, oui, il y en a une qui est plus importante que les autres, aussi, mais bon, là n'est pas l'important. Si les deux maîtres ne sont pas d'accord sur la garde principale, ils s'accordent parfaitement pour dire que ce qui compte, au final, c'est de se mettre très vite en sécurité, c'est à dire tuer son adversaire le plus vite possible et avec un minimum d'efforts (il n'est pas forcément seul). Ensemble, ils insistent ainsi sur l'aspect résolument offensif de l'escrime, et se focalisent sur les coups: tailles, entailles, estocs.

La position de base de l'escrime de Lichtenauer est, pour un droitier: le pied gauche en avant, l'arme pointe vers le ciel sur le côté gauche du haut du corps, le pied droit et l'épaule droite en retrait. Ensuite, peu importe d'avoir l'épée au dessus de la tête, verticale, penchée un peu en arrière ou un peu sur un côté. On peut porter l'épée garde au côté du visage, ou poser la garde sur la clavicule: comme ça vous plaît ! A vous de trouver ce qui marche et qui est confortable.

Depuis cette posture, le coup le plus évident sur un pas en avant sur la droite (avec le pied droit devant à la fin), est un coup d'arrière en avant, de haut en bas et de droite à gauche. On arrête les mains devant le haut du thorax, tendues en avant pour avoir un maximum d'allonge, l'épée au niveau du cou de l'adversaire.

Si tout s'est passée de manière idéale, voilà, c'est fini ! L'adversaire a la face fendue/le cou ouvert, vous avez survécu: félicitations !

Mais il est extrêmement probable que la personne en face n'ait aucune envie de ne rien faire contre ce destin funeste. Et il est dans la même posture de base que vous, dans une immense majorité des cas. Même si ce n'est pas le cas, celui qui prend l'initiative en attaquant doit "s'en moquer" et envoyer avec force et courage son coup dans la direction de la tête de l'autre. (Petite nuance importante: là où il devine que sera la tête de l'autre lorsqu'il aura terminé son mouvement, s'il bouge, et il a tout intérêt à le faire).

L'autre a toutes les chances de faire exactement pareil, à quelques nuances importantes près: s'il sait qu'il n'a pas l'initiative, il va latéraliser davantage son pas, ou même choisir d'absorber en reculant. S'il latéralise, il adopte deux principes, un offensif et un défensif: en se décalant de côté tout en frappant de la même manière que vous, il "ferme" l'axe d'attaque que vous avez choisi: votre lame va échouer sur la sienne. Même s'il n'interpose pas son épée, par ce mouvement de côté il fait quitter la pointe de votre épée la position idéale qu'il faut toujours rechercher: le Centre, notion fondamentale de toute escrime. Avoir le centre, c'est avoir votre épée libre d'entrave et pouvant frapper le corps de l'autre de taille, d'entaille ou d'estoc, de manière directe. Celui qui prend le centre gagne. C'est presque une règle absolue. Avoir l'initiative et le centre est un gage de victoire presque direct, en tous cas un avantage colossal. Paradoxalement, pour prendre le centre, il faut parfois contourner par l'extérieur, et c'est ce que fait notre adversaire en se déplaçant de côté: il nous met à l'extérieur et il se crée un nouveau centre. Bien entendu, à chaque fois que le système constitué par les deux adversaires change, au moindre mouvement, le centre se redéfinit. Pour gagner le centre, on peut donc bouger le corps en se déplaçant, bouger son épée, bouger celle de l'autre, et en général faire les trois en même temps. De cela on infère trois grandes règles:

1) Toujours être en mouvement, si vous restez statique, vous aidez l'autre à mieux "calculer" le centre en fixant des paramètres du système.

2) Prenez le centre, et cela en vous déplaçant, ou en déplaçant votre lame, contre l'épée de l'adversaire ou non.

3) Ne le perdez surtout pas ! D'une manière générale, plus la situation s'éternise, plus le combat devient inextricable et difficile, plus vous augmentez vos chances de vous en prendre une. Il est rarissime que le centre change de camps trois fois ou plus... Pensez-y.

Que peut-il se passer dans cette double coupe de haut diagonale ? On se réfèrera au feu et à l'eau:

1) Le Feu gagne: L'un des deux a frappé mieux, plus vite, plus fort, a chassé la lame de l'autre et l'a coupé dans le même mouvement. Peu subtil, bourrin, ce que vous voulez, mais si ça marche, ça marche ! L'escrime médiévale en général, et la tradition lichtenauerienne en particulier, est très pragmatique, totalement non ésotérique, et très minimaliste, comme tout art de combat un tant soit peu optimisé. Si une frappe naturelle, simple à exécuter, très rapide et avec une bonne allonge suffit, pourquoi se compliquer ? Les glosateurs se moquent parfois gentiment des "petits maîtres" qui "dansent" pour épater la galerie avec des techniques qui "en jettent". Ce n'est pas de l'escrime.

2) L'Eau gagne: Celui qui "reçoit" la frappe fait un petit pas de côté et en arrière, arrête la frappe de l'autre en frappant lui même, prend le centre en alignant sa pointe sur la gorge de l'adversaire, et estoque.

3) Feu et Eau en même temps: l'un des adversaires a frappé loin et vite (Feu), c'est à dire les mains assez hautes: au contact, sa lame chevauche celle de l'autre, prisonnière du quillon bas, et en continuant à avancer, passe un point de pivot de sa lame très important en escrime lichtenauerienne, où, au lieu d'écarter la pointe du centre, la lame de l'autre l'attire. (Eau) (là il faut essayer pour comprendre!) En fonction de la distance, la lame chevauchante estoque, entaille ou même coupe l'adversaire.

4) Eau et Feu en même temps: Notez la priorité donnée à l'eau cette fois-ci: celui qui n'avait pas l'initiative a vue venir l'autre, et a senti qu'il désirait obtenir 3). Au lieu d'avancer sur sa droite, il se décale juste à droite en faisant toujours face à l'attaquant (Eau), et assène brutalement (Feu) un coup diagonal en direction du visage. Si l'autre a les mains bien hautes, il va lui couper en même temps la gorge et les deux bras !

NB: On notera que dans les situations où "l'Eau" l'emporte, le timing est toujours orienté vers l'Avant. C'est toujours par une technique contre-offensive réalisée en même temps que l'attaque de l'adversaire que l'initiative est reprise et débouche sur l'action déterminante. L'Avant est l'allié inconditionnel, même dans une démarche qui s'inscrit dans "l'Eau".

Si on récapitule les mouvements que les deux adversaires ont fait, on débouche sur trois situations finales:

1) Vous êtes mort.

2) Votre adversaire est mort.

3) Vos épées sont entrées en contact, et vous vous retrouvez dans une situation intermédiaire qu'il convient de traiter.

Rien que dans le mouvement de base décrit ci-dessus, il y a toute une escrime. Il y a une infinité de possibilités de placement, selon le pas de chacun, la frappe de chacun (mains plus ou moins hautes en fin de coupe, angle de coupe plus ou moins vertical, distance au final, etc.). Il faut, pour dégager une science de l'escrime, pour le seul cas intéressant (pour l'art, pas pour vous), c'est à dire le troisième, classifier les familles de positions possibles et relatives à 3). Et c'est là que tout se complique.

IV) Travail du fer, perception de l'autre à travers son épée, principe théorique de la rotation

Le travail du fer est l'ensemble des nombreuses techniques mises en oeuvre pour traiter le cas 3), à partir du moment où les lames sont entrées en contact, et jusqu'à ce qu'elles se détachent ou que le combat s'achève. Dans ce travail, tout est dans les mains: souplesse, vivacité des gestes, précisions, et surtout, surtout, ressenti de la pression exercée par la lame de l'autre contre la nôtre, ce qu'on appelle "sentiment du fer". L'appréhension de ce travail commence par la compréhension de la lame de votre épée, et de ses différentes portions. C'est assez facile, puisqu'il n'y en a que deux:

1) Le faible de la lame: c'est la moitié vers la pointe. La partie offensive majoritaire, qui coupe, entaille, et permet l'estoc. Sur une lame en acier le faible est mince, souple, et acéré.

2) Le fort de la lame: c'est l'autre moitié, vers la garde. Plus épais, plus lourd, plus rigide, plus proche de la force des mains.

Ces deux parties sont séparées par le point médian de la lame, l'un des trois points importants de celle-ci:

1) le point médian, équilibre entre fort et faible.

2) le point d'équilibre statique de l'épée, qui correspond au point évoqué plus haut, dans le fort de la lame, au delà duquel toute pression exercée sur la lame va la faire tourner dans le sens de la pression, et en deçà duquel toute pression exercée va la faire tourner en sens inverse.

3) le point de pivot, situé dans le faible, un peu moins important en exercice, mais assez important en test de coupe: c'est le point où la lame aura le plus grand pouvoir de coupe.

Pour y voir plus clair par la suite, retenez ceci: une épée n'est pas seulement un bout de métal coupant. C'est aussi, physiquement, à la fois une balance et un bras de levier. Toute la théorie d'où découle les multiples coups du travail du fer réside dans ces deux concepts, balance et bras de levier, ainsi que dans un troisième, qui réside non pas dans la lame, mais dans la garde composée des quillons.

Imaginez-vous les quillons comme une sorte de tourniquet avec seulement deux branches. Selon leur orientation dans un plan perpendiculaire à l'axe de la lame, si vous imaginez un objet (au hasard une lame d'épée) se déplaçant le long de la lame, ils sont soit ouverts (passe), soit fermés (passe-pas).

On combine les trois à partir de la position suivante: lames croisées en leur milieu, quillons dans l'axe de coupe. Personne n'a le centre, et si l'un des deux détache son épée pour réarmer/frapper ailleurs, il donne le centre à l'autre et meurt instantanément. Comment s'y prendre ? Résumons:

1) Si le point de contact des lames glisse vers nous, il tombe dans le fort de la lame: on va donc avoir l'avantage du bras de levier, et pouvoir, à force égale, manoeuvrer l'épée de l'autre et lui imposer sa volonté. Peut... mais doit ? Si on force l'autre, on lui donne une information, qu'il peut et va exploiter. Mais gardons en mémoire qu'il vaut mieux pouvoir que ne pas pouvoir... Gardons également en mémoire que toute position est relative. On peut donc pousser la lame de l'autre, ou se décaler soi-même en sens contraire, sans bouger les deux épées. Cela revient au même, mais l'adversaire ne sent pas que "ça bouge" dans son épée.

2) Si le point de contact glisse encore plus vers nous, et franchit le point d'équilibre, cela libère la pointe de notre arme: si l'adversaire agit dessus par l'intermédiaire de son épée, son effet sera nul ou presque (bras de levier complètement en sa défaveur), et le peu qu'il fera amplifiera notre geste.

3) Il vaut mieux qu'en glissant vers vous, il trouve la porte des quillons fermée...

Que faire pour mettre toutes les chances de notre côté ? Dans la position de base, personne ne serait assez fou pour avancer la pointe de l'épée vers l'autre: il irait sur son fort, faiblirait, donnerait le centre et mourrait. Comment gagner le faible de l'épée ennemie avec notre fort ? Imaginez-vous la scène: votre seul moyen est de lever les bras, mettre votre poignée au dessus de votre pointe, afin de laisser glisser la lame de l'autre contre votre fort et vers son faible... sans se faire couper, c'est à dire en fermant la porte des quillons, qui sont, au départ, quasiment en position ouverte. Joli cahier des charges: fermons mentalement les quillons: il faut faire tourner notre lame sur son axe de 90°. Levons la poignée de l'épée de manière à passer au-dessus de sa pointe. Faisons les deux en même temps. Petite astuce: si vos poignets coincent, vous n'avez pas tourné dans le bon sens !

Le seul moyen de faire tout cela à la fois est de mettre le flanc gauche de votre épée vers le bas en tournant dans le sens des aiguilles d'une montre les quillons autour de l'épée. En position finale, vous avez:

1) le faible de la lame adverse contre l'intersection entre le fort de votre lame et les quillons qui sont à présent horizontaux.

2) Le faible de votre lame complètement libre.

Avantage du bras de levier, de la balance et des portes de quillons: vous. Pour l'adversaire: aucun. A présent placez la pointe de votre épée où vous voulez/pouvez et avancez: un estoc, et le combat est terminé.

L'ensemble de tous ces gestes, qui doivent être simultanés (tourner l'épée autour de son axe, passer la garde au-dessus de la tête, placer la pointe et avancer) s'appelle une rotation. Ce geste est l'essence du travail au fer. Selon la distance il va déboucher sur des estocs ou des entailles. Selon qu'il est fait dans l'instant du contact ou après une étude du sentiment du fer plus longue, il va déboucher sur des tailles ou non. Dans les sources ces concepts prendront d'autres noms: doublements, mutations, rotation à droite, à gauche, etc. etc. Mais fondamentalement l'idée restera la même: emprisonner la lame de l'autre avec les quillons, priver l'épée ennemie de sa force, et libérer sa propre lame: le tout en jouant sur la hauteur ou le centrage de la poignée de l'épée et sur l'inclinaison des quillons.

Voyons à présent quelques techniques simples en fonction de situations de départ différentes.

V) Retour à l'approche

Dans le cas décrit plus haut, si l'approche se solde par un "match nul", il faut continuer le flot d'attaque sur d'autres temps, d'autres gestes techniques, pour vaincre. Rappelons que le temps passé en duel est l'ennemi de la sécurité. Il est primordial d'utiliser sa science de l'escrime pour gagner du temps. Plus le flot sera rapide (tout en étant fluide et en se donnant le temps de "sentir", sinon ça serait trop facile, voilà pourquoi Musashi par exemple dénigre la "rapidité" qu'il pense comme "la hâte, l'empressement") et plus les attaques s'enchaînent, moins on laisse de temps à l'adversaire pour placer son jeu. L'étouffer le plus vite possible est une bonne méthode pour vaincre.

L'attaque de base, vue en III), n'est pas la seule approche utilisable. Que faire d'autre dans ce cas ? Cette attaque de base est naturelle, rapide, puissante... mais prévisible, et ne surprendra pas grand monde. De plus, elle conduit très souvent au cas 3), à savoir le "match nul" en cas de coups miroir l'un de l'autre. C'est bien pour apprendre à travailler: les exercices sur le travail du fer commencent même dans la position "épées croisées", ou on présuppose implicitement cette attaque échouée pour commencer.

Par contre, c'est moins bien en combat. On a quand même perdu un temps à ne pas couper/entailler/piquer l'adversaire, et on va dépenser une énergie considérable à "tricoter" pour s'en défaire... à moins que ça ne soit le contraire. L'idéal est de s'en débarrasser en un seul temps.

L'idée est de combiner les gestes de rotation vus en IV) à l'approche simple vue en III) afin de gagner un temps. Reprenons l'exemple donné: une attaque basique en diagonale, suivie d'une rotation à gauche, débouchant selon la distance à un estoc, une entaille ou une taille, la garde de l'épée horizontale, devant et au-dessus de la tête, en "chapeau" de protection.

Imaginons que l'adversaire avance sur vous et vous assène une attaque comme vue en III). Vous pouvez soit tenter une des solutions proposées dans ce chapitre, soit la combinaison suivante: à la bonne distance, et au dernier moment (juste avant de se prendre l'attaque, ça nécessite un bon contrôle de ses nerfs ;-)), faites un pas de côté sur la droite, et au lieu de frapper en diagonale, laissez partir la lame un petit peu derrière vous, mettez rapidement la poignée de votre épée au dessus de la tête, tout en amenant rapidement la pointe devant vous, en tenant la poignée main droite devant la tête, main gauche bien au dessus. Si vous vous y prenez bien la pointe de l'épée va décrire un grand demi cercle horizontal sur votre droite. En un seul temps, vous avez protégé votre tête d'une attaque venant du haut, et vous menacez (au moins) le visage de votre adversaire de votre pointe. Si vous étiez plus près vous l'avez peut-être même déjà coupé. Ce coup s'appelle le coup transversal, et il est l'un des coups les plus utilisés, parce qu'il permet de "briser" le coup diagonal le plus courant, tout en défaisant votre adversaire en un seul temps.

Tous les autres coups de l'approche émanent de la même logique: combiner frappe de base et une rotation en un seul temps, pour viser, en fonction de la situation, la tête, ou les bras, tout en vous protégeant d'une attaque avérée ou prévue.

VI) Conclusion

Ce texte n'est qu'un très rapide aperçu des principes de combat de l'escrime de tradition Lichtenauerienne. Il est une introduction aux principes fondamentaux, à l'approche et au travail du fer, et occulte volontairement dans un souci de simplicité un aspect très important de l'escrime médiévale, la lutte à l'épée, lorsque la distance se réduit encore entre les deux adversaires. Mais au delà de la surface présentée ici, pour approfondir davantage, il faut s'imprégner des sources et des traductions qui en sont faites. Il est inutile de les réécrire. Et, bien entendu, puisque l'escrime est un art de geste et non d'écrit, de pratiquer, si possible auprès de gens plus expérimentés que soi.

Pour en savoir plus:

http://ardamhe.free.fr/

: site qui présente de nombreuses sources dont certaines de tradition Lichtenauerienne comme le tétraptyque

"Von Danzig / Hans von Speyer / Juden Lew / Sigmund Ringeck : L'art chevaleresque de l'épée longue (XVe siècle)" disponible gratuitement et en totalité sur le site.

http://peamhe.free.fr/ site d'une association parisienne qui étudie ces sources et les met en pratique, dont j'ai l'honneur de faire partie.

28 juin 2010

26/06/2010, tests de coupe chez un ami.

26.06.2010

Ce merveilleux samedi a été pour moi l'occasion de valider pas mal de théories personnelles sur la coupe (à l'épée longue), et également d'apprendre, en compagnie de gens plus expérimentés que moi dans cet art, le tout dans un cadre qui, en plus d'être agréable, permet de vraiment travailler: Dehors, à l'ombre, sur la pelouse. ^^

Tout d'abord, j'ai été introduit à une nouvelle cible de coupe qui m'a emballé: une matière pourtant toute simple, qui possède les qualités de la mousse haute densité que j'utilise habituellement (frites de piscine), à savoir:

- être raisonnablement facile et raisonnablement difficile à couper

- une densité très proche de la chair

- une très bonne lisibilité de la coupe effectuée

et qui possède en plus:

- le poids qui imite l'inertie d'un corps

- la rigidité d'ensemble qui évite les fausses interprétations de coupe: en haut d'une frite, une coupe horizontale à presque 0% de chances de couper, encore moins couper droit: la cible plie trop facilement

- enfin, last but not least, le faible coût due à la réusabilité presque infinie...

J'ai nommé: l'argile (ou la glaise) de potier ! Il suffit de la laisser bien humide dans un sac bien fermé et elle conserve à perpet' ou presque, coûte moins d'un euro le kilo (la cible doit faire à peu près dix kilos). Sur une coupe la finesse du grain de l'argile permet de lire la coupe: lisse comme si c'était passé à la main humide: très bonne coupe, fragmenté de fins liserais, voire avec de petites aspérités dues à un arrachage microscopique: moins bonne coupe. Bien entendu, les plus gros défauts se voient si la coupe n'est pas droite, ou... si on emmène le bloc d'argile avec soi !

Quelques inconvénients:

- l'argile est gorgée d'eau, l'ennemie jurée de nos jolies lames en acier totalement oxydable: il faut périodiquement enlever le surplus d'argile des lames, et les nettoyer soigneusement à l'huile d'arme / de clous de girofle / au WD 45, et à l'abrasif léger en fin de session pour enlever les "tâches" sur lesquelles pourraient se mettre de la rouille.

- c'est crado ! A faire absolument dehors, se munir de gros gants de jardinage en caoutchouc pour remodeler le bloc tailladé en tous sens.

- au bout de deux heures il faut repétrir l'argile en mouillant bien afin qu'il garde sa souplesse.

- Dix kilos d'argile ça fait le volume d'une grosse tête. Vu la nature pâteuse de la matière, on ne peut pas, comme avec une rabane mouillée par exemple, enchaîner des coupes du haut vers le bas pour simuler des attaques à la tête, au cou, au torse et à l'abdomen.

Solution: utiliser un support multi-pièces afin de gérer différentes hauteurs. Le but n'est pas de faire des multi-coupes ultra-impressionantes comme en tameshigiri, mais de tester avec des moyens simples et limités une, voire deux coupes, en fonction des techniques étudiées. En escrime médiévale de tradition lichtenauerienne, la cible est très souvent la tête, le cou, ou les épaules, plus rarement les mains ou les parties basses. Il n'est donc pas gênant de s'entraîner sur une cible "localisée", par exemple le haut d'un buste + la tête. Pour cela, il suffit de poser sa boule d'argile sur un support permettant de placer celle-ci "à hauteur de cou" (à peu près, de toute façon, la hauteur du cou dépend de la taille de l'adversaire, il faut savoir s'adapter !).

Une fois bien décrite la cible, parlons un peu des outils. Deux armes ont été utilisée pour les tests:

1) La Fiore, d'Albion, une épée longue classifiée XVa dans la classification Oakeshott, rude, robuste, rigide, et plutôt destinée à l'usage intensif sur champ de bataille, et à l'estoc sur ennemi armuré, qu'à la coupe. La lame est de section "diamant" (en losange aplati, donc) et le profil est un triangle isocèle parfait.

2) La Brescia Spadona, toujours d'Albion, une épée longue classifiée XVIa, plus légère, plus souple, destinée au monde civil, au duel judiciaire. Une arme de "robe" bien qu'elle soit une épée longue en tous points de vue, à une époque où la rapière n'existe pas encore. Moins rigide, elle est moins dévolue à l'estoc (bien que la pointe soit renforcée sur l'épée), possède une lame plus large mais moins épaisse, de section diamant sur le faible et le milieu, de section hexagonale sur le fort, avec une gouttière pour alléger et rigidifier cette partie.

On peut dire de la type XVIa qu'elle est l'utime évolution de l'épée longue "de taille", tandis que la type XVa est d'un type radical dédié à l'estoc. Les deux types seront en quelque sorte unifiés par le type XVIIIb, de superbes lames aussi efficaces en taille et en estoc.

La Fiore met plus en confiance que la Brescia, on la sent solide en main, indestructible, assez "autoritaire", plus lourde que l'autre... et pourtant, le point d'équilibre statique est juste un cm plus avant sur la Fiore, et elle ne pèse que trente grammes de plus ! Magie des propriétés d'équilibre de ces armes subtiles. Si si, subtiles, je persiste et je signe !

La Brescia, par contre, est toute de légèreté et de maniabilité, elle obéit au doigt et à l'oeil et fatigue bien moins que l'autre. Mais sa souplesse ne lui donne pas un caractère aussi "à toute épreuve" que la Fiore, bien qu'au cours des divers tests que j'ai pu lui faire subir jamais sa résistance ne fut mise en doute.

Suite à trois heures de coupe, avec trois participants, nous avons pu tirer quelques conclusions:

- La coupe à l'épée longue, c'est facile. Si si... Bien sûr, un coupeur expérimenté coupe mieux qu'un débutant, mais ce qui est sûr, c'est que tout le monde coupe. Les axes d'attaque très naturels de l'escrime que nous étudions y est pour beaucoup. Mais pas seulement. La position des mains aussi influe beaucoup: une fois les préceptes des maîtres nous ayant laissé leurs "fechtbuch" appliquées, la coupe est presque automatique pour peu qu'on ne rate pas la cible (et oui, ça arrive !). C'est particulièrement le cas des coupes horizontales, avec le pouce sur la garde, au milieu de la base de la lame, entre les quillons. Poser le pouce à cet endroit c'est diriger son épée pour avoir un bon angle de coupe.

Mais la lame y est aussi pour quelque chose. Comme discuté dans un précédent article, plus une lame est épaisse, moins l'angle entre deux plats de lame d'un même côté est aigu, et plus la lame est "tolérante" aux erreurs d'axe de coupe. Si la Fiore coupait de manière régulière pour tous, la Brescia s'est montrée plus élitiste: un angle d'attaque de coupe grossièrement foireux donne une entaille profonde mais pas une vraie coupe. Par contre, si la coupe est bonne, les résultats sur la cible sont proprement (ou salement, au choix ^^) monstrueux. Le bloc d'argile peut être coupé en deux de manière nette avec un grain de coupe très fin, sans effort ou presque, avec une attaque minimaliste comme celle que tout escrimeur essaiera de produire, afin de ne pas "s'ouvrir en grand" après une frappe.

- Les "épées longues d'estoc"... ça coupe ! Si si... La fameuse XVa connue pour ses talents à l'estoc contre la maille et même la plate en demi-épée, s'en sort très honorablement. Moins coupante que la Brescia, bien moins bonne en entaille, elle est tout de même capable de couper le bloc qui lui est offert avec juste un peu plus d'engagement qu'avec la Brescia, qui, bien maniée, semble être capable de couper tout et n'importe quoi, pour peu que la résistance du matériau soit comparable à celle des msucles, des os, de la peau, du cuir fin, etc. L'épée semble aussi être capable de couper en entaille très profonde (un peu comme un sabre japonais) avec une efficacité redoutable: à 15 cm de pénétration de la glaise, on appelle plus vraiment ça une entaille...

- Le medium de coupe, par contre, est trop fragile en estoc, et nous n'avons pu apprécier de différence notoire entre les deux armes: une couche de cuir ou de multiples couches de tissu par dessus la glaise auraient très certainement mis en lumière les meilleures performances de la Fiore dans ce domaine.

En conclusion de cet article, je vous propose enfin quelques photos de moi en pleine action de défonçage de pavé de glaise. Toutes représentent la Fiore. Pour tout avouer, la Brescia m'appartenant, j'étais trop stressé durant les coupes où elle servait pour avoir l'idée de prendre des photos. ^^

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