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Shugyo
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23 décembre 2008

De l'homme, de sa force, de ses limites, de son équilibre.

Les idées qui nous semblent éclairantes surviennent souvent dans des circonstances inattendues.
C'est le cas de celle-ci: à la suite d'une séance de haya suburis à la maison, dans la douche, elle est passée dans mon esprit sans prévenir.
Ma croyance personnelle adhère au principe bien connu d'un être humain tripartite, composé d'une âme, d'un corps, et d'un esprit. Trois parties communiquant ensembles, plus ou moins liées, parfois luttant les unes contre les autres, parfois unies dans le même but. Certaines, selon le profil de chaque personne, plus fortes que les autres.
Jusqu'alors, je pensais que de ces trois parties, l'âme et l'esprit, de par leur nature immatérielle, avaient plus d'affinités entre elles, et que le corps, matériel, était un peu "à part".
Pensée typique d'un profil intellectuel.
L'idée d'hier soir était, sujet qui m'est de plus en plus cher, de comparer nos sociétés aux humains qui les composent, et leur relation à l'âme, au corps, et à l'esprit.
Dans le monde dans lequel nous vivons, l'âme aussi bien que le corps sont en retrait par rapport à l'esprit tout puissant: notre société confortable, encore riche, très technologique, exige de plus en plus d'esprit pour gérer sa complexité et son abstraction croissante, de moins en moins de corps, et, comme tout système barbarisant, de moins en moins d'âme.
[ NDLA: Selon la définition donnée par Compte Sponville: tout système social tend au barbarisme au fur et à mesure qu'il s'intègre et se complexifie. Le barbarisme est une confusion des ordres, un mélange qui tend à identifier la nécessité technique au légal, au moralement "bon", voire à ce qu'on aime tous. Le capitalisme actuel, qui érige en Loi Suprême l'économie de marché, voire en valeur morale puis en quelque chose que tout le monde aime (c'est un ordre, aimez l'économie de marché et tous ses excès sous peine de devenir le dernier des has been), c'est un barbarisme qui donne une valeur légale et morale à une simple technique de gestion d'échange parmi d'autres. ]
L'esprit est, et à toujours été depuis l'aube des civilisations, la carte de pouvoir maîtresse de l'humanité. C'est grâce à l'esprit que nous dominons à peu près les éléments quand ils sont calmes, et que nous ne risquons plus d'être dévorés par un prédateur à longueur de nuit.
L'esprit est aussi ce qui a engendré tout ce qui fait souffrir l'humanité, et la planète: un esprit non éduqué, surtout s'il est très fort, peut déclencher toute sorte de cataclysme, d'une guerre mondiale à une crise économique spéculative. L'esprit, seul, est source de chaos et de déséquilibre à grande échelle. Il a besoin de gardes fous, aussi forts que lui, en chaque individu, et en chaque société, afin de canaliser sa puissance et ne pas faire n'importe quoi.
Cela est aussi vrai pour un individu. Passer son temps à cultiver ou utiliser son esprit, au détriment du reste, est source de troubles: manque de sommeil réparateur, déprime latente permanente, manque d'énergie, dégoût de ce qui nous entoure.
A contrario, finalement, l'âme et le corps vont bien ensemble. Le corps est matériel, et par sa matérialité, fragile: susceptible de tomber malade, de se blesser, de souffrir. Il est aussi rebelle: faites le souffrir à cause d'un déséquilibre de "trop d'esprit", il vous le fera payer: douleurs musculaires dues au stress, surpoids, encrassage générateur de maladie, faiblesse face aux éléments... Faites-le travailler, faites le "souffrir de manière constructive", il vous le rendra aussi: plus léger, plus fort, plus endurant, plus beau, il vous donnera le sommeil qui repose vraiment, et vous sentir "vivant incarné" vous procurera plaisir et bonheur lors des phases où vous le laisserez en paix (puisque le plaisir se définit en creux sur la souffrance, souffrir est nécessaire au plaisir: un corps anesthésié par une vie sédentarisée se sclérose, a mal sans souffrir, mais, en tout cas, ne donne pas de plaisir).
L'âme, elle, se nourrit plus du corps et de son état que de l'esprit: je l'ai (re)découvert récemment, mais il y a une vraie synergie qui nourrit l'âme lorsqu'on pratique une activité avec le corps, et bien sûr aussi avec l'esprit, puisqu'on ne peut rien faire sans. C'est ainsi que nous apprenons à vivre étant enfant, c'est ainsi que se pratiquent les métiers manuels... C'est ainsi que vivent les autres animaux. Certains philosophes nous décrivent plus comme "Homo Faber" que comme "Homo Sapiens". Une part non négligeable de notre intelligence, et aussi de notre sagesse, est dans nos mains, nos pieds, notre corps.
Non négligeable, et pourtant de plus en plus négligé. Si l'esprit n'en souffre pas, ça n'est pas le cas de l'âme, comme décrit au début de ce texte.
Il en ressort que notre corps, qui est notre seule matérialité, notre seule prise directe avec le réel, est une limite pour l'esprit. Non pas une prison, non pas un fauteur de trouble, comme la philosophie socratique le décrit, et comme la chrétienté le dénonce. Pas seulement.
C'est une limite qui est également saine.
Le corps est le mètre étalon qui dicte à nos pensées et à nos actes leur caractère "humain" ou "inhumain".
Ainsi, la propension à la démesure de l'esprit peut très bien être limitée par la prise de conscience de ce que nous sommes à travers notre corps.
Analysons les maux de notre société: directement visibles dans le corps et dans l'âme, et souvent causés par des règles sociales venues de bien trop d'abstraction, de volume de donnée, de modèle trop éloignés, non de la réalité de leur science, mais de la Vie.
Le fascisme et le communisme soviétique sont des maladies de l'âme sociale de peuples dont les dirigeants ont trop éloigné leur ligne de conduite de la réalité de leurs corps (paradoxalement en érigeant un culte de celui-ci). La démesure de l'architecture nazie, la démesure des nombres en Russie, sont des symboles de cet éloignement de l'échelle humaine.
De la même manière, notre monde souffre de la financiarisation de l'économie, de la spéculation de quelques uns dans ce grand casino qu'est "leur" monde. Loin, très loin de leurs corps. Quelle personne, consciente de son "moi corporel", aurait l'idée de spéculer sur la nourriture, entraînant famine et gaspillage ? Quelle monstruosité faut-il pour jouer à cela? Juste celle de décorréler au quotidien son esprit, et son corps, et de laisser galoper le premier sur des rails totalement abstraits... de jouer à un jeu d'esprit, dans des sphères aussi éloignées que possible du domaine du corps.
Alors non, je ne prône pas l'abandon du feu et le retour dans les cavernes. Absolument pas. Ce qui est acquis par l'humanité au travers de son esprit n'est pas nécessairement mauvais. Par contre, il est urgent, je le pense, de rétablir le sens commun des actes de chacun au travers de la grille de lecture offerte par le corps, par son corps.
Je pense de plus en plus profondément, autre vaste sujet, que le combat, au niveau personnel, et la guerre, au niveau civilisationnel, sont les dénominateurs communs, les grilles de lecture ultimes, de l'humanité.
La géopolitique, l'économie, le marketing, le social, la politique, se ramènent tous à des grands principes de stratégie militaire qui ont pour la plupart des milliers d'années. Lire l'Art de la Guerre de Sun Tzu vous racontera aussi bien pourquoi les USA ont perdu la guerre du Vietnam que pourquoi Nicolas Sarkozy a remporté les élections en 2008. Ce même livre vous donnera à l'avance les décisions socio-économico-politiques de n'importe quel dirigeant d'entreprise ou de pays, pour peu que vous connaissiez un peu le personnage, son histoire, et son environnement.
Il vous dira aussi quelques mois avant tout le monde qu'on va supprimer la pub des chaînes publiques.
Au niveau personnel, combattre et vivre, c'est la même chose. Combattre contre les difficultés, les éléments, la maladie, contre soi et ses propres failles, contre les autres aussi. Gagner une augmentation de salaire lors d'un entretien, c'est gagner une bataille esprit contre esprit face à son supérieur. Certes, il faut du "bon" travail avant, mais ceux qui ne sont pas forts en entretien se feront automatiquement avoir. Négocier avec son épouse telle organisation dans la maison ou telle destination de vacances, même avec beaucoup d'amour, c'est un combat: contre notre propre égoïsme, contre notre stress latent, contre les même problèmes chez le conjoint.
Je peux donc donner un parallèle rapide dans ce thème pour illustrer combien cet éclair de lucidité dans la douche est valable. Combattre pour survivre à l'épée ou au sabre, c'est beaucoup de souffrance, beaucoup de difficulté, beaucoup d'expérience requise mobilisée à un moment contre une personne. Vivre ainsi au quotidien a bien souvent poussé, psychopathes mis à part, à réfléchir sur sa conduite, voire "à porter ses pêchés" et, vieux, à se retirer, devenir philosophe, penseur, moine, etc.
Proche du corps, proche de l'autre, limité par la puissance de son corps, on est dans l'intimité de la mort, de la fragilité et de la faiblesse, la sienne comme celle de son adversaire.
On peut, a contrario, si on est bien rôdé, appuyer sur un bouton pour respecter une procédure, et tirer un missile qui va tuer des milliers de gens. Et avoir son esprit qui va travailler de toutes ses forces contre la culpabilité passagère ressentie "je fais partie d'un système qui m'a commandé/dit/inculqué que je devais faire ça... Après tout, j'ai juste appuyé sur un bouton". Quand l'esprit seul est utilisé, il est facile de dévier, facile de se mentir. Ca l'est nettement moins (je n'ai pas dit impossible) quand le corps est également totalement impliqué.
On pourrait, a contrario, dire que le corps sans esprit peut aussi dériver, par ses besoins, ses travers, ses envies: c'est le grand thème de la nuisance des passions développés par les grecs. Certes, c'est vrai. Mais le problème de l'esprit, comme je l'ai précédemment dit, provient du dimensionnement. Le pire des tueurs psychopathes pourra éventuellement, par le corps, tuer un millier de personnes. Par l'esprit, par l'abstraction, par l'idée, ce sera des millions, des dizaines de millions. Et plus encore au fur et à mesure que notre société vit sur des abstractions, des concepts plus ou moins fumeux, et un gros niveau technologique, et que le coupable a lui aussi un esprit affûté, prolifique, fort.
Pour juguler les excès de l'esprit, bien plus graves que ceux du corps, la sagesse, expression de la force de l'âme, est le meilleur garde fou. Mais la sagesse provient de l'expérience, et de la perception du poids de nos actes. La terminologie utilisée, celle du poids, rien qu'en elle même, renvoit l'âme dos à dos avec le corps.
Je pense que c'est une leçon que nous devrions tous connaître, apprendre, et méditer, dans nos sociétés modernes.

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