09/09/2009
Hier soir, après une première prise de contact samedi dernier, nous nous rendions, mon épouse et moi-même, à notre premier véritable entraînement d'escrime médiévale germanique, au sein de l'association P.E.A.M.H.E.
Après les joies du périph' bouché et une petite partie du sport local parisien "trouve une place pour garer ta bagnole", nous sommes arrivés au but. Hum, il faudra peut-être retravailler notre prévision de parcours et/ou changer de moyen de transport vu le retard par rapport à notre heure d'arrivée prévue. ^^
C'est difficile de parler d'un premier cours, surtout quand on y a appris énormément de choses, et qu'on n'est pas sans référent ! De plus, le rythme d'apprentissage est beaucoup plus élevé qu'au Kendo. La praticité extrême de cet art martial européen, sa versatilité, et son enseignement exemplatif, font qu'on se retrouve tout de suite plongé dans le grand bain.
Il n'y a pas de maître en escrime médiévale européenne. Ou du moins si, mais ils sont morts depuis longtemps et n'ont pas pu transmettre leur savoir à de jeunes disciples qui auraient perpétué l'art. Mais, bénis soient-ils, ils ont eu la bonne idée toute européenne de nous laisser des livres. La démarche est donc de lire les bouquins (ou leur traduction pour les gens qui ne parlent pas le vieil allemand couramment), potasser les gravures, et d'essayer de trouver une démarche de combat qui est validée par une grosse majorité des écrits, une logique, un style d'escrime qui intègre ces gravures, ces textes exemplatifs, en un tout cohérent.
Pas de maître, donc, mais des chercheurs de différents niveaux. Dans notre groupe, le plus expérimenté (et donc notre "maître" au sens art martial) a intégré dans sa démarche pédagogique cette nécessité de "trouver sa synthèse", son interprétation personnelle, en travaillant d'une manière non déconstruite, peu analytique et très systémique. En clair: peu de "katas", pas de par coeur. On n'apprend pas non plus en "free sparring" (équivalent de ji-geiko) sous peine de faire n'importe quoi et de ne pas être fidèle même à l'esprit de cette escrime. On travaille des situations, plus ou moins lentement, pour apprendre à notre tête mais aussi à notre corps comment réagir dans tel ou tel cas.
Nous travaillons ainsi parce qu'une grande partie des subtilités de l'escrime médiévale germanique passe par les mains, le "sentiment du fer". Au kendo, on cherche la bonne frappe à la bonne distance, on est très "dans la première attaque", et si ça foire, on a le choix entre passer, reculer en zanshin à bonne distance, ou frapper en reculant après contact. Parce qu'il y a une bonne distance de frappe.
En escrime médiévale, pas de cible, et pas de "bonne" manière de frapper: si, bien sûr, il y a une partie de l'épée faite pour couper (moitié de la lame vers la pointe, celle-ci exclue), mais quand on est proche, il y a d'autres façons de travailler: demi-épée (saisie de lame d'une main, l'autre sur la poignée), coups de pommeau, et même lutte, prises, clefs, coups de pied/de poing. Et la/les solution(s) proposées à la plupart des situations sont adoptées en fonction de ce qu'on ressent "au fer", principalement si l'adversaire est "dur" (verrouillé dans sa posture, en muscle) ou "mou" (fluide mais faible).
Pour illustrer ce principe, je vais détailler ce que nous avons appris en dernier, un "kata" (on dit une pièce dans le jargon AMHE) du codex Wallerstein.
Description détaillée:
Les deux adversaires sont loin l'un de l'autre (loin hors de la distance à partir de laquelle on peut commencer à travailler, genre 5 mètres), en garde du Toit (épée armée sur l'épaule, un genre de Hasso No Kamae).
Ils se rapprochent à petits pas mesurés, et à la détection soit de leur distance de touche (Maai) soit du départ de l'autre ils exécutent un Zornhau. (c'est à dire une frappe diagonale visant le cou ou le côté de la tête tout en s'écartant de l'axe d'attaque d'un pas sur l'avant droite, en gardant le bassin dirigé vers la cible).
=> A ce stade, la pièce admet que personne n'est mort, c'est à dire que le Zornhau n'a pas été détecté et contré, et que ce dernier n'a pas porté, ce qui arrive très fréquemment, même en free sparring.
On arrive donc dans une situation ou les deux partenaires ont la pointe de l'autre dirigée à peu près vers le visage, souvent très très près, et ont eux même les bras tendus à hauteur de poitrine (comme en fin de Men, on apelle ça la longue pointe).
Que fait-on dans ce cas là ? Simple: le premier qui prend un coup d'estoc dans la poire a perdu ! Que fait-on naturellement ? On essaye d'écarter la menace tout en plantant l'autre, c'est à dire... prendre le centre ! Hé oui, universel, ça, le centre !
=> Là, on n'a pas de bol, pas de bras (et donc pas de chocolat ^^), ou on est un petit malin, et on n'arrive pas à prendre le centre et piquer l'autre. Au contraire, c'est lui qui gagne et commence à aligner la pointe du tranchant de son épée vers ta tête !
Heureusement, Wallerstein et Newton sont là ! Dans la suite de la pièce, le geste qui sauve est basé sur le bras de levier: tout en avançant (faut pas avoir peur!) on fait tourner son épée sur elle même et sur une trajectoire où la pointe est fixe, et les quillons sont sur un arc remontant à droite: on emprisonne ainsi vers l'extérieur dans le quillon inférieur (qui remonte, donc) la lame adverse. On a écarté la menace, et on s'est ménagé un boulevard au centre. Les quillons et l'angle protègent nos doigts de la lame ennemie. On est trop près pour piquer, donc on pose la pointe sur l'épaule de l'aversaire, faux tranchant vers le bas, et on appuie généreusement sur l'épée pour trancher la base du cou, en continuant à avancer sur lui.
Ca, c'est quand ça se passe bien. Il y a une faille de tempo qui permet à l'adversaire de réagir, d'une seule façon possible: lâcher la menace, abandonner l'offensive, et tenter de la seule manière offerte à lui de ne pas être touché: dégager la pointe de notre épée vers le haut sur notre droite, par dessus sa tête. Auquel cas il se met encore plus dedans:
Choix 1: On lève les bras en les croisant dans l'autre sens à toute vitesse, l'épée pivote autour de sa garde et on touche le côté de la tête ou la base du cou sur un nouveau pas en avant sur la gauche de l'adversaire. Il y a de bonnes chances qu'il en soit décapité.
Choix 2: Pareil sur un pas complètement latéral, et là on attrape la lame de l'épée en son milieu, et on "tombe" avec elle en un coup de pointe à la poitrine.
Choix 3: l'adversaire tente de réagir et on n'a pas le temps de fairer un tour complet à l'épée: on plonge sur lui et on frappe au visage avec le pommeau après avoir frappé à la main son bras armé le plus proche pour baisser son arme !
Choix 4: on bondit plus fort sur lui à sa gauche, on met la main gauche sur son visage, le pied gauche derrière ses pieds, et on pousse très fort, si on peut en balayant du pied placé derrière lui: boum, à terre. Ensuite on peut lui planter son épée / le couper d'un joli moulinet, au choix...
Interprétation:
C'est une pièce qui exprime bien les grands points caractéristiques de l'esprit de l'escrime médiévale allemande:
- Agressivité résolue: on FONCE sur l'autre, et on fait quelque chose à chaque distance sans lui laisser le moindre temps de répit.
- Spirale infernale: si on impose son jeu, l'autre tente de réagir et c'est de pire en pire pour lui.
- Adaptativité/Souplesse: il y a toujours quelque chose à faire et le système est complet, malgré qu'il soit décrit en exemples précis: voilà pourquoi il faut apprendre non seulement les pièces mais comprendre leur esprit.
- Défense dans l'attaque, attaque dans la défense: c'est aussi mal de parer/bloquer en escrime médiévale qu'au Kendo. La règle est que chaque geste doit permettre attaque, défense et placement, ou également attaque, déflexion, esquive. Garder le centre et pousser l'autre sur les bords...
- Taille, Estoc, Tranche: trois types d'attaques avec l'épée. Tous les coups ne sont pas forcément mortels tout de suite, mais s'ils ne le sont pas ils handicappent sérieusement l'adversaire qui peut (et doit) être aisément achevé en fin de pièce.
- L'épée est une arme complète et il n'y a pas que le bout de la lame qui sert: garde (quillons), deux tranchants, pommeau, poignée, pointe, fort, faible, tout sert ! Avec des gantelets on peut l'attraper par la lame, et il y a même des pièces où on frappe avec les quillons, comme avec un marteau de guerre, en tenant l'épée à l'envers (Mortschalg, pour le combat en armure). Talhoffer va jusqu'à décrire des croche pieds avec les quillons pour stopper un adversaire tentant de fuir !