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Shugyo
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21 novembre 2008

La Vie, où la Grande Forge, l'Epée, et le Forgeron.

Ca fait quelques temps que je réfléchis, par le biais de l'éducation, à ce qu'est vraiment, dans la construction d'un être humain, l'expérience, la formation, l'instruction.

Une image m'est apparue: finalement, la vie d'un homme et la vie d'une épée sont très proches et comparables, de notre naissance à notre mort.

Sitôt sorti du fourneau qui a préparé notre matière, nous nous retrouvons au contact de l'air, du temps, des éléments, et des autres. A cet âge, maléable et sans forme définie, nous sommes forgés par nos parents, nos enseignants, nos frères et soeurs, nos amis.

Notre enfance se termine lorsque la lame que nous sommes a pris forme. A ce stade, elle est encore "inutilisable", nous ne sommes pas prêt à vivre par nous mêmes. Nous avons grandi couverts par nos parents, guidés par notre entourage, protégés des rudesses de l'existence auto assumée. Pour vraiment être une "oeuvre achevée", il nous faut une épreuve.

Cette épreuve, c'est l'adolescence et l'entrée à l'âge adulte. La forme que nous avons n'est pas définitive, nous le sentons, nous ressemblons à des adultes sans en être. Progressivement, notre acier s'échauffe, se rebelle au contact du feu tumultueux de notre jeunesse, et de notre contact avec les autres jeunes.
L'opposition aux adultes, parents, profs, la prise de conscience du système social qui nous abrite mais nous limite, également, est l'échauffement nécessaire à faire de nous des lames "vivantes", comme disent les anglo-saxons. L'adolescent, au pic de sa rébellion, se rend bien compte qu'un jour, il va bien falloir qu'il prenne la responsabilité de son destin, qu'il suive sa destinée, sa vocation, et sa future fonction sociale. Il va se recristalliser en très peu de temps autour de cette prise de conscience. Ainsi, comme l'épée, nous sommes "trempés", le feu chaotique de notre adolescence est brutalement refroidi par la prise de conscience de notre liberté acquise mais aussi imposée et responsable: le début des études supérieures, l'appart, la vie étudiante, sont autant d'occasion de prise de contact avec le "vrai" monde, l'économie, la politique, la totale gestion de ses affaires personnelles...
Mais après la trempe, si la nouvelle lame coupe, elle est rigide, et fragile: le jeune adulte, tout droit sorti du bac d'eau froide, a pris conscience de ce monde selon un modèle personnel, mais simplifié. Il voit encore en noir et blanc, ne saisit pas les subtilités de ce monde, et veut "casser" ce qui lui résiste au lieu d'adopter des solutions parfois moins radicales, mais plus fines, plus adaptées, plus profitables à long terme. Le verre coupe et casse, le roseau se couche sous le vent lorsque celui-ci se fait dangereux.
L'apprentissage personnel de l'adulte, l'entrée dans le monde du travail, la fondation d'un couple "solide", l'achat d'une résidence, sont autant d'occasions d'acquérir de l'expérience, qui, si elle est profitable, garde clair et propre le fil de la lame, mais l'optimise, le "polit", et , surtout, surtout, recuit le coeur pour apprendre à l'adulte naissant la qualité première qui fait que la vie dure: la résilience. De 20 à 30 ans, c'est ce "recuit" qui fait du jeune trentenaire une épée enfin terminée.
Mais le temps ne s'arrête pas là, néanmoins. La vie d'adulte est rude, la lame "sert" beaucoup. Les épreuves, comme autant de boucliers ou de plaques d'armures, les adversaires, comme autant d'autres épées, font subir à la lame neuve les outrages du temps. Pression sociale, licenciement, divorce, perte d'amis, maladies, autant de chocs, autant de revers... La lame se voile, se plie, le tranchant s'émousse, le fil s'ébrèche.
A présent, on est à la fois épée et forgeron. C'est à nous d'assumer notre destin. A nous de surmonter les épreuves, de nous recentrer, de retourner à la forge pour repolir, redresser, voire retremper la lame que nous sommes, pour ne pas finir par devenir des bâtons inutiles sans aucun fil.
En même temps, il nous faut forger, à notre tour, une ou plusieurs lames neuves. Les enfants, la continuité, le moyen qu'à l'homme de survivre à son destin à travers sa descendance.
Avec le temps et l'usage, cependant, l'usure de la lame finit par la priver, petit à petit, de matière. Elle devient, petit à petit, totalement irréparable: trop fine, elle finit, inexorablement, par casser sur une dent trop dure pour ce qu'il lui reste d'épaisseur.
Ce qu'il advient de l'épée ensuite, c'est à chacun de le savoir, en fonction de ses croyances. Elle peut rester là, dans le sous-bois où a péri son dernier porteur, à rouiller dans la mousse humide et les hautes herbes. Elle peut aussi être récupérée par un collectionneur, qui la restorera du mieux qu'il peut, l'absoudra de sa rouille, la réassemblera, pour lui promettre une éternité figée et parfaite sous verre.
Pour ma part, je crois qu'un ferrailleur la ramasse, et qu'avec d'autres de ses soeurs disparues, elle finira dans la corbeille d'un autre forgeron, où elle pourra revivre tout son cycle, de sa mise en forme, sa trempe, son revenu, son usure, et sa nouvelle rupture. Identique mais différente, à la fois même matière mais nouvelle forme, et peut-être nouvel emploi...
Jusqu'à ce que la guerre cesse dans son monde, que la paix survienne, et qu'une de ses descendantes ait droit à l'écrin de soie et la cloche de verre, sitôt sortie de la forge du dernier forgeron.

La question qui subsiste est la suivante: est-ce, finalement, une existence enviable pour une épée ?

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